Le Mali et ses quatre millions d’usagers du téléphone mobile ont frôlé la catastrophe dans la semaine du 23 au 28 décembre 2009. L’interconnexion des réseaux SOTELMA SA et ORANGE Mali avait cessé de fonctionner en cette période de fêtes de fin d’année où le téléphone est particulièrement sollicité pour les vœux traditionnels que l’on échange entre parents, alliés, amis, collaborateurs, relations d’affaires etc. Les abonnés au réseau ORANGE Mali n’ont guère souffert de l’incident. Ils pouvaient téléphoner entre eux et téléphoner à leurs correspondants du réseau SOTELMA SA sans le moindre problème.
En revanche, les abonnés au réseau SOTELMA SA ont sérieusement bavé : ils ne pouvaient pas appeler leurs correspondants de chez ORANGE Mali. D’où un mélange de frustration et de colère sourde contre leur fournisseur accusé de manque de fiabilité. Pourquoi, en effet, s’interrogeaient-ils sans pouvoir apporter une claire réponse, cela marche t-il chez l’autre opérateur et pas le leur?
Les conséquences de cette rupture auraient pu être autrement bien plus graves. Une personne pouvait, par exemple, être agressée et mourir faute de secours à cause d’un appel téléphonique qui n’a pu être reçu dans un commissariat de police ou un centre de santé.
Qui peut certifier au demeurant qu’un tel cas de figure ne s’est produit nulle part dans le vaste Mali?
Directeur du Comité de Régulation des Télécommunications (CRT), Dr Choguel Maïga n’aura pas, pour ce qui le concerne, attendu qu’un drame fût porté à sa connaissance pour tenter de mettre le holà à cette situation à la fois ennuyeuse et grosse de danger. Interrompant le repos dans le cadre douillet de la famille auquel les fêtes légales lui faisaient droit, il rallie son bureau ce matin du 28 décembre à l’ACI 2000 et y convoque d’office les Directeurs généraux de SOTELMA SA et ORANGE Mali, Norredine Boumzebra et Alioune Ndiaye. Unique sujet à l’ordre du jour de cette réunion d’urgence : rétablir au plus vite l’interconnexion des deux réseaux quelles qu’aient pu être les raisons qui ont prévalu à son non fonctionnement. Argument de poids mis sur la table par Choguel Maïga : il s’agit d’un problème d’ordre public auquel l’Etat ne peut rester insensible et, en tout état de cause, le citoyen ne doit pas pâtir d’un contentieux entre deux entités ayant vocation à le servir plutôt que lui nuire. L’argument porte et, une heure plus tard, l’interconnexion est rétablie.
Mais Choguel Maïga sait qu’il ne doit pas jeter le manche après cette première cognée, que s’il a pu trouver réponse à une situation pressante, le contentieux reste entier et seul un traitement approprié est de nature à éviter qu’une telle mésaventure ne se reproduise. Et que le consommateur du téléphone mobile ne soit l’otage de deux mastodontes décidés à en découdre pour préserver leurs puissants intérêts.
Le contentieux entre les deux opérateurs téléphoniques est né de l’application de l’Accord d’interconnexion qu’ils ont signé en mai 2003 pour respecter la liberté de communiquer reconnue au consommateur par la loi. Le mécanisme fonctionne de la façon suivante: les deux opérateurs connectent leurs réseaux pour permettre à leurs clients de communiquer de part et d’autre. A la fin de chaque mois, ils font une évaluation des appels passés de l’un vers l’autre et vice-versa sur la base du tarif d’interconnexion – actuellement 45 FCFA la minute – fixé d’accord parties. Lorsqu’un usager appelle d’ORANGE Mali vers la SOTELMA SA, la première perçoit 70% du coût de l’appel et la seconde 30%. Lorsque l’appel vient de la SOTELMA SA vers ORANGE Mali, les pourcentages sont inversés.
ORANGE Mali se prévalant de 3 000 000 d’utilisateurs contre 500 000 au départ, puis 1000 000 pour la SOTELMA, l’application de cette règle de partage attribue la plus grosse part des recettes à la première.
De 2003 à 2006, le système a fonctionné sans anicroche entre les deux rivaux et partenaires à la fois. Mais à partir de cette dernière date, la SOTELMA a refusé tout paiement, arguant qu’elle ne peut accepter le prélèvement à la source de la TVA décidé par le ministre des Finances.
Depuis, les factures se sont accumulées jusqu’à dépasser 9 milliards de FCFA fin décembre 2009.
En décidant de prendre le dossier en mains, ce même 28 décembre où il a réussi à rétablir l’interconnexion des deux réseaux, au nom de la préservation de l’ordre public, Choguel Maïga a fait d’une pierre deux coups: sortir le contentieux du prétoire où il s’enlisait au grand bonheur des avocats qui continuaient à remplir leurs poches et ramener les protagonistes là où ils auraient dû commencer. L’article 23 du décret n°00 230 PRM du 10 mai 2000 relatif à l’interconnexion dans le secteur des télécommunications stipule, en effet, que “le règlement de tout litige entre les opérateurs a lieu au niveau de l’autorité de régulation avant tout recours aux juridictions compétentes”.
Se fondant sur cette disposition, le Directeur du CRT envoie deux courriers, ce même jour, aux deux directeurs généraux des deux sociétés. Ils contiennent les points suivants. Primo : saisir officiellement le CRT du litige qui les oppose. Secundo : arrêter toutes les procédures pendantes devant les juridictions en attendant l’arbitrage du CRT. Tertio : rendre compte au CRT des causes de toutes les perturbations qui peuvent survenir sur le réseau Quarto : sous huitaine, que chaque partie produise ses moyens de défense sur le contentieux.
Les patrons de la SOTELMA SA et de ORANGE Mali ont tous deux réagi par écrit, chacun accablant l’autre, comme il est de bonne guerre en pareille circonstance. Malgré tout, les choses iront très vite vers un début de dénouement plutôt heureux. De réunion orageuse avec les Directeurs généraux des deux entreprises flanqués d’une escouade de techniciens, de financiers, de juristes maison et d’avocats en conciliabules puis têtes-à-têtes avec les DG, Choguel Maïga parviendra, après d’âpres discussions, à décrisper l’atmosphère, à dissiper les suspicions et les malentendus, à lever les blocages, notamment sur le mode de règlement des arriérés imputés à la SOTELMA SA.
Résultat de ce forcing réussi par l’ex-ministre de l’Industrie et du Commerce du président ATT qui a ainsi confirmé son talent de négociateur hors-pair, la SOTELMA SA a émis un chèque de près de 3 milliards de FCFA en faveur de ORANGE Mali.
Un geste qui préfigure un arrangement entre les deux parties, même s’il faudra attendre les résultats de l’audit international qui va être réalisé dans les semaines à venir pour déterminer si les factures établies par ORANGE Mali à l’adresse de SOTELMA SA sont sincères ou non.
Un bon coup, en tout cas, qui vient renforcer la crédibilité, la légitimité et l’efficacité du CRT. Une structure qui œuvre méthodiquement à se donner les moyens pour que l’Etat et le citoyen malien puissent tirer le maximum de profits du secteur très prometteur des télécommunications.
Saouti Labass HAIDARA
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