Jerash, à une heure de route d’Amman. Un convoi rutilant pénètre dans la cour de la petite école, accueilli par une haie d’honneur. Des fillettes en uniforme scandent des mots de bienvenue et frappent des mains. Amina, Shirin, Nasreen et les autres, gamines espiègles aux cheveux de jais et adolescentes au visage encadré d’un voile ont longuement préparé l’arrivée des dignitaires… d’Orange Jordan. La filiale de France Télécom en Jordanie a réhabilité leurs locaux dans le cadre d’une initiative lancée par la reine Rania. La bibliothèque, la salle de conférences, le terrain de foot sont neufs. Sur les façades repeintes s’étalent en larges lettres orange des mots d’arabe et d’anglais (« discover », « learn »…) qui ressemblent à s’y méprendre à une plaquette publicitaire du groupe. La marque reste discrète, mais pose son empreinte.
En Jordanie, Orange joue la carte de la légitimité et de la proximité. Pour son premier voyage dans le pays la semaine dernière, le nouveau patron, Stéphane Richard, a eu la surprise d’être reçu par le roi Abdallah -qui ne parle habituellement qu’aux présidents et non aux directeurs généraux, quand bien même il s’agit du premier investisseur étranger dans son royaume. Il est vrai que France Télécom est l’opérateur historique depuis la privatisation de Jordan Telecom en 2000. Il détient 51 % d’Orange Jordan. En dix ans, le nombre de clients a bondi de 650.000, à plus de 4,5 millions. Seul opérateur à commercialiser des accès Internet dans le royaume hachémite, Orange Jordan vient d’obtenir douze mois d’exclusivité pour commercialiser le haut débit mobile (3G) auprès des 6 millions d’habitants. Une occasion rêvée de rattraper son retard sur Zain, dont la part de marché dépasse 40 % contre 31 % pour Orange. L’arrivée de l’Internet mobile lui permettra peut-être aussi de regonfler ses marges sur un marché à trois ultraconcurrentiel.
Les enjeux jordaniens
Cependant, pour Stéphane Richard, qui a entamé il y a deux mois une tournée des filiales internationales avant la formalisation de son projet d’entreprise le 1 er juillet, la Jordanie porte d’autres enjeux. Le patron de France Télécom s’est fixé pour objectif de doubler le chiffre d’affaires réalisé dans les pays émergents (3,6 milliards d’euros) en cinq ans. Car leur croissance est alléchante. Comme le dit Marc Rennard, qui supervise les opérations en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, « la démographie en Afrique, c’est de l’argent qui tombe du ciel pour les opérateurs télécoms ». Mais il faudra pour cela conquérir de nouveaux pays. Or les occasions ne sont plus si nombreuses, et, au-delà de la Méditerranée, la concurrence est rude avec le britannique Vodafone, le sud-africain MTN, les suédois de Millicom ou l’indien Bharti -qui vient de racheter Zain. Auprès de certains gouvernements comme celui du Yémen, qui songe à vendre l’opérateur historique, France Télécom peut se prévaloir d’une expérience réussie de privatisation en Jordanie. Il pourrait également se porter candidat au rachat de Bénin Telecom d’ici à la mi-juillet. Nitel, l’énorme ex-monopole du Nigeria, est moins tentant : trop d’employés, trop peu d’actifs, trop de risques politiques.
Des innovations sur mesure pour les pays émergents
France Télécom caresse d’autres espoirs dans la zone. D’abord sous la forme d’un classique rachat d’entreprise privée, comme en Egypte où il vient de boucler le rachat de Mobinil (26 millions de clients). Bharti pourrait se défaire de certains actifs de Zain dans le Golfe pour financer sa coûteuse licence 3G en Inde. MTN est cher, autour de 14 milliards d’euros, mais serait une belle prise. Au Maroc, les fonds propriétaires de Meditel pourraient être vendeurs. De même l’opérateur mobile algérien Djezzy, actuellement détenu par Orascom, mais qui a des ennuis avec le fisc. Les aléas politiques risquent toutefois de compliquer la donne.
A l’affût des nouvelles licences, Orange lorgne le Burkina Faso, où le troisième opérateur vient d’être débranché, et le Togo. En Tunisie, il a inauguré début mai sa licence exclusive d’un an pour la 3G, avec 45 % de taux de couverture. Et sa filiale Sofrecom, qui a déjà signé des contrats de management en Iran, en Libye, au Yémen, en Syrie, où les Etats ne sont pas prêts à ouvrir le capital de leurs opérateurs, vient de signer un contrat de deux ans et demi en Ethiopie, décrite comme « le dernier eldorado d’Afrique ». Stéphane Richard n’a pas fini de serrer des mains de l’autre côté de la Méditerranée.
SOLVEIG GODELUCK (À AMMAN)
[readon1 url=”http://www.lesechos.fr”]Source :lesechos.fr[/readon1]