Cameroun: Comment les jeunes camerounais utilisent-ils les tarifs promotionnels téléphoniques ?
Depuis près de 03 ans, le gouvernements camerounais s’est lancé dans la lutte contre la vie chère pour favoriser l’amélioration des conditions de vie des populations. Parmi les actions entreprises, figure en bonne place la diminution des coûts des denrées de première nécessité. C’est ainsi que le sucre, le riz, le lait ou encore l’huile, ont vue leurs prix baissé par des décrets ministériels. Dans le domaine des télécommunications aussi, les frais de communication ont subi une baisse importante.
Les principaux opérateurs téléphoniques (MTN, ORANGE et CAMTEL) en concurrence sur la scène camerounaise ne cessent de progresser en qualité et de réduire leurs frais de communication en offrant ainsi aux clients des avantages de plus en plus croissants. La minute de communication téléphonique est par exemple passée de 350frs à 180frs, 120frs et 70frs. La minute dans les call box est passée de 300frs à 100frs ou 50frs par endroit.
Pour maintenir leur clientèle et attirer d’avantage d’autres, ces opérateurs ne cessent de développer des politiques commerciales. En bonne place, figurent les tarifs forfaitaires promotionnels. MTN par exemple offre des SMS gratuits de 22 heures à 6 heures du matin et des appels à 90frs la minute et gratuits après la 1ère minute dans la même tranche horaire. ORANGE de son côté a lancé « 24 Jours chrono » qui offre des SMS à 25frs de 22 heures à 5heures, des appels à 30frs la minute et gratuits après la 3ème minute et le numéro préféré à 0frs dans la même tranche horaire pendant 24 jours. Il faudrait noter qu’en période normale le prix d’un SMS est à 50frs avec ces deux opérateurs et la minute de communication variant entre 180frs et 250frs. Ainsi donc, la concurrence est serrée mais ce qui attire notre attention dans ces politiques de promotion c’est que ces tarifs se déroulent dans les heures tardives de la nuit. Ce sont des heures où les gens sont sensés dormir ou se reposer après une longue journée de travail stressante et éreintante. Mais qui sont donc ceux qui bénéficient principalement des ces offres ? Après observations et entretien nous avons constaté que les jeunes sont les principaux bénéficiaires. Tandis que les adultes sont couchés à ces heures, les jeunes plus agiles, énergétiques, opportunistes et malins passent des nuits blanches à profiter à fond des tarifs qui leurs sont offerts pour atteindre leurs fins. Intéressons nous donc à l’usage qu’ils en font.
La jeunesse camerounaise est caractérisée par des traits qui font d’elle un ensemble relativement homogène. Les jeunes ont les mêmes goûts vestimentaires. Sans distinction de sexe et d’origine sociale et tribale, ils aiment tous enfiler leurs pantalons jeans avec une paire de tennis et un T-shirt. Ils sont tous fans des mêmes stars de sport et de cinéma, ils écoutent tous la même musique et dansent tous sur les mêmes rythmes. Lorsque les opérateurs téléphoniques lancent donc une promotion pareille, ils se l’arrachent comme un seul homme. Les usages sont cependant diversifiés.
Certains jeunes utilisent les SMS et appels presque gratuits à des heures tardives pour demander les nouvelles des amis et des proches, ou alors pour passer une dépêche. Ils peuvent ainsi parler de leur état de santé, de leur situation scolaire, des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien. Cela leur permet aussi de s’intéresser de manière exhaustive à la situation de leur correspondant sans se soucier des frais de communication. A coté ceux qui utilisent les tarifs promotionnels pour s’informer, il y a ceux qui l’intègrent dans leur cursus scolaire et académique. Il s’agit en majorité des étudiants et des élèves en fin de cycle secondaire. Ils exploitent ces tarifs pour les devoirs, les exposés ou les cours. Les étudiants par exemple avec les programmes chargés qu’ils ont, doivent encore préparer des exposés en groupe à présenter devant la classe. Avec la difficulté de se réunir en journée par manque de temps libres, il y a des étudiants qui préfèrent travailler pendant la nuit avec les autres membres à travers le téléphone dans la mesure où avec 90frs on peut communiquer de 22h à 5h du matin. Ils peuvent ainsi se partager les idées, définir l’ossature de l’exposé, se faire des critiques réciproques, partager les résultats des recherches concernant le sujet. D’autres en profitent pour combler une absence au cours de la journée. Il suffit de s’assurer des services d’un camarade présent à ce cours et qui accepte de vous le lire au téléphone pour que vous compreniez au moins de quoi il a été question.
A coté de ces jeunes qui profitent des SMS et des appels promotionnels pour conquérir la connaissance, il y a enfin ceux qui en jouissent pour passer tout simplement des messages. Ils créent des SMS aux contenus variés pour faire passer une pensée. Les thématiques sont de plusieurs ordres. Nous avons cependant pu dégager la religion, l’amitié, l’amour, la paix, la liberté, la responsabilité. D’autres sont tout simplement des insolites. Ce sont des messages qui s’adressent à tout le monde sans aucun destinataire préalable. Le SMS envoyé dans le circuit circule d’un individu à l’autre, chacun éprouvant le plaisir et surtout le désir de la passer à un ami.
Certains d’eux ont particulièrement attiré notre attention :
Le SIDA existe. Envoie ce message à 15 personnes et tu auras le crédit de 1000frs. Mon gars protège toi.
Donne 1000 chances à ton ennemi de devenir ton ami mais ne donne pas une seule chance à ton ami de devenir ton ennemi. C’est la semaine mondiale du meilleur ami. Envoie ce message à tous tes amis y compris moi si j’en fais partie. Voie combien tu auras de message en retour. Si le nombre dépasse 5, saches que tu es une personne adorable.
L’as-tu déjà fait ? Où ? Quand ? Accompagné ? Comment : assis ? debout ? couché ? A haute voix ou tout bas ? Qu’as-tu ressenti ? Peux tu encore le faire ? Je parle de la prière !
Le réseau téléphonique camerounais est donc particulièrement chargé aux heures tardives à cause des jeunes. Cependant, la communication se fait entre jeunes et rarement avec les adultes car ceux-ci détestent être réveillés dans leur sommeil ou le perdre pour une communication que n’a rien d’urgente. Mais si ces jeunes exploitent les options tarifaires à fond, cela ne va pas sans conséquences sur leur état physique et psychologique. Pour ceux qui rejoignent les amphis et les salles de classe le matin, il y a des effets de fatigue qui se font ressentir toute la journée. De plus ils y vont avec une mémoire épuisée, ce qui rend leur participation au cours problématique. Le crédit de sommeil entraîne la somnolence au heures de cours et comme on le dit, le crédit de somme finit toujours pas se payer.
A cette conséquence qui est liée à la condition physique des jeunes après avoir passé une nuit à communiquer sur leur portable, il y a une autre qui apparaît de manière plus subtile. Elle est liée au niveau de langue des jeunes. Lorsqu’un jeune veut écrire un SMS, il s’assure d’y mettre toutes les informations et ceci sur une seule page. Il faut y passer le moins de temps possible car plusieurs autres SMS doivent être envoyés. Pour qu’un SMS soit exhaustif en peu de page et en y passant moins de temps, les jeunes ont développé un style d’orthographe qui consiste à écrire les mots à base de leur son. Par exemple, pour dire ‘‘Bonjour mon petit quoi de neuf ?’’, ils écrivent ‘‘Bjr mn pti koi d 9’’ Pour ‘‘Bonsoir est ce que tu vas bien ?’’ ils font ‘‘Bsr è c k tu va bi1’’ En s’exprimant de la sorte ces jeunes courent le risque de voir leur niveau de langue baissé. Cela se ressent dans leurs devoirs car même dans les amphis, les enseignants qui corrigent les devoirs des étudiants se plaignent des fautes de langue que ceux-ci commettent. Nous n’estimons pas que ce soit une conséquence immédiate mais elle pourrait y contribuer car en écrivant des messages de la sorte, on n’oublie progressivement les notions de langue apprises à l’école de base.
Nous avons enfin les conflits qui naissent à la maison à cause des communications nocturnes. Les parents en particulier n’apprécient pas de voir leurs enfants recevoir des coups de fil aux heures tardives. Ils se basent sur la sagesse selon laquelle les actions négatives se déroulent loin du soleil c’est-à-dire la nuit. Ils ont l’impression que les enfants attendent que tous le monde soit endormi pour avoir des conversations intimes avec un partenaire qu’ils ne connaissent ou qu’ils ont toujours interdit. Et pourtant les jeunes ne font que profiter des opportunités qui se présentent à eux.
La communication est nécessaire pour la gestion des relations interpersonnelles. Les jeunes camerounais l’ont compris et profitent à fond des tarifs promotionnels offerts par les opérateurs téléphoniques du pays. Les tranches horaires ne les affectent pas et au contraire ils s’y sentent à l’aise. Les conséquences sont cependant fâcheuses et ces jeunes gagneraient à communiquer rationnellement et avec modération, ceci pour rester en forme le lendemain et exceller chacun dans son activité. Ils devraient aussi comprendre que c’est là une politique commerciale pour inciter les individus à avoir un téléphone et à s’abonner d’avantage. Toutefois, lorsqu’on voit la rapidité avec laquelle cette jeunesse fait circuler les SMS, l’esprit de créativité qui les amène à créer des messages aux contenus édifiant, on comprend qu’elle regorge d’énormes potentialités à canaliser. Nos gouvernements de pays pauvres gagneraient à les exploiter et à les inclure dans leurs actions de lutte contre le sous-développement.
[readon1 url=”http://www.camer.be”]Source : camer.be[/readon1]