Préparé sans tenir compte de l’opinion des principaux intéressés, signé le 28 mai dernier par le Président de la république, publié au Journal officiel le 20 juin 2010, le décret n° 2010-632 instituant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant au Sénégal n’était pas encore entré en vigueur qu’il provoquait déjà un vaste tollé. En fait, cette initiative n’est pas vraiment une nouveauté puisqu’une première tentative avait été faite, dans le courant de l’année 2009, alors que l’Etat faisait face à de graves difficultés de trésorerie. Profitant de ce contexte, ceux qui régentent en coulisses le secteur des TIC et des télécommunications au Sénégal depuis maintenant plus d’une décennie avaient fait miroiter aux plus hautes autorités de l’Etat, la possibilité de collecter des dizaines de milliards de FCFA grâce à la mise en place d’un tel dispositif. L’opération avait cependant fait long feu compte tenu d’une part de l’opposition manifestée par les opérateurs de télécommunications et d’autre part des fortes réticences exprimées par l’Agence de régulation des postes et télécommunications (ARTP) qui estimait qu’une telle mesure allait à l’encontre de la tendance générale visant à faire baiser les tarifs de télécommunications. Gêné par la divulgation de sa position par le journal Le Populaire, l’organe de régulation, qui traversait une période difficile suite au limogeage de son directeur général emporté par l’affaire des primes liées à l’attribution de la licence globale à Sudatel, avait publié un démenti peu convaincant. Dans les milieux bien informés, on expliquait d’ailleurs que le véritable motif ayant présidé au limogeage du Directeur général de l’ARTP était son opposition à la taxation des appels entrant, l’affaire des primes n’ayant été qu’un prétexte pour se débarrasser de lui. Toujours est-il qu’une fois l’orage passé et un nouveau Directeur général de l’ARTP nommé, les parrains de l’opération se sont remis au travail, introduisant d’une part le projet de décret dans les circuits administratifs et signant d’autre part un accord de gré à gré avec la société Global Voice Group (GVG) pour le contrôle du volume du trafic international entrant. Cet accord léonin d’une durée de cinq ans prévoit d’attribuer à GVG 49% des recettes découlant de cette nouvelle taxe dont le montant annuel est estimé à 60 milliards de FCFA, en échange de la mise à disposition de l’Etat d’un équipement d’un coût de 10 milliards de FCFA. A n’en pas douter, il s’agit d’un excellent deal pour GVG et pour ceux qui lui ont offert ce marché de gré à gré sur un plateau d’argent, puisque le montant des gains accumulés au bout de deux mois d’activité sera équivalent au montant de l’investissement de base. Qui dit mieux ? En dehors des protestations de l’Intersyndicale des travailleurs de la Sonatel, de l’opposition de la Sonatel, des dénonciations de l’opinion publique et des réserves de la grande majorité des experts du secteur, les choses sont encore un peu plus compliquées puisque les ministres en charge des télécommunications au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ont exprimé leur intention de requérir l’avis technique de l’Union internationale des télécommunications (UIT) à propos de cette taxe et demandé qu’elle ne s’applique pas aux autres états membres par solidarité. Ces développements montrent bien que le discours des autorités sénégalaises tentant de faire accroire que l’instauration de cette taxe, à laquelle la Côte d’ivoire et le Burkina Faso ont renoncé après l’avoir instaurée, sera sans effet sur le coût des communications téléphoniques, pour les consommateurs comme pour les opérateurs de télécommunications, est bien peu crédible. De plus, comment ignorer le fait que l’augmentation du prix des télécommunications qui en découlera incitera les fraudeurs à redoubler d’ingéniosité pour contourner le système mis en place d’autant plus que leurs gains seront encore plus élevés que par le passé ? Enfin quid de la baisse du volume du trafic téléphonique entrant qui risque de survenir du fait du surenchérissement de la destination Sénégal et qui entrainera de facto une baisse des recettes fiscales ? Comme on le voit, l’instauration de cette taxe et la venue de GVG au Sénégal soulèvent plus de problèmes qu’elles n’apportent de solutions et tout le monde en est semble-t-il conscient sauf l’Etat qui continue à présenter l’opération comme une bonne affaire. Il est donc légitime de se poser la question de savoir à qui profite le crime.