L’information n’est plus une surprise : le commun des auditeurs sait que, ces jours-ci, le public branché sur Radio France internationale (RFI) n’a ou n’avait plus (au cas où, entre-temps, les choses seraient revenues à la normale) droit à l’ensemble de la grille des programmes. En lieu et place des émissions, on nous propose de la musique, art ayant la vertu d’adoucir les mœurs. Les auditeurs sevrés n’ont d’autre choix que de se tourner vers les médias concurrents de RFI, qu’il est inutile de nommer. Nous n’en parlerions pas si cette grève n’était pas la énième dans cette station de radio et si les grèves à RFI n’étaient pas monnaie courante. Les chiffres officiels font état de 7 % de grévistes, mais les conséquences sont là. Une telle grogne, selon les syndicats, s’explique par des “licenciements économiques sans justification économique” concernant la suppression de 206 emplois, soit 20 % des effectifs, des “licenciements maquillés en départs volontaires”, la discrimination “entre les journalistes français et ceux de langues étrangères”, la fermeture des rédactions en six langues (albanais, allemand, laotien polonais, serbo-croate, turc) qui se profile à l’horizon, les limites imposée aux “possibilités de reclassement”, le risque de “conversion forcée de tous les chargés de réalisation et techniciens en techniciens chargés de réalisation” et la menace de dégradation des conditions de travail.
En première instance, le comité d’entreprise avait vu sa demande d’annulation du plan social déboutée par la justice. En appel, le jugement de première instance a été infirmé, et RFI a été enjointe d’informer et de consulter le comité d’entreprise au sujet de la mise en place de la société de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF) et de la négociation par ce holding de son contrat d’objectifs et de moyens. De fait, le plan social est suspendu, et RFI est, par ailleurs, condamnée à payer 3 500 euros au comité. Les syndicats opposés à cette restructuration estiment qu’elle est liée à la création de l’AEF, qui coiffe RFI et France 24. En réalité, cette réforme est voulue par Nicolas Sarkozy, président de la République française, qui a nommé à la tête de cette institution comme président-directeur général Alain de Pouzilhac, publicitaire de renom, et comme directrice générale déléguée Christine Ockrent, ancienne présentatrice vedette de télévision et compagne de Bernard Kouchner, le ministre des Affaires étrangères français.
“RFI perd des parts de marché dans toutes les parties du monde, y compris en Afrique francophone”, déclare la direction, même si la notion de part de marché pour une radio de service public est discutable ; la radio qui se veut mondiale ne compte que 46 millions d’auditeurs, tandis que d’autres en comptabilisent le double, voire le triple ; la langue française encaisse non sans chanceler les coups de boutoir de l’anglais ; alors que certaines chaînes de radio songent à augmenter le nombre de langues étrangères dans leur grille de programmes, la France de Sarkozy ne trouve pas mieux à faire que d’emprunter le chemin inverse. En face, si les syndicats n’ont pas tort de hausser le ton, ils ont peut-être intérêt – et la France avec – à revoir leurs méthodes de lutte. Ils sont, certes, gagnants en tant que salariés, mais perdants en tant que Français ou francophiles. En effet, pendant qu’ils boudent les studios, les auditeurs se branchent sur des stations de radio concurrentes qui n’en demandaient pas moins. Lesquels auditeurs peuvent voir – ou voient déjà – dans ce mouvement une tradition bien française de contestation, parfois inutile et puérile. On a l’impression que, parce que la France est la patrie des droits de l’homme, elle doit ressembler à cette Byzance où les citoyens n’ont d’autres occupations que de provoquer (pour les gouvernants) ou de contester, parfois de façon violente (pour les gouvernés). Le Royaume-Uni est, par excellence, la patrie de l’économie politique, mais cela ne l’empêche pas d’être un Etat de droit libéral et démocratique qui n’a rien à envier à la France ; l’Allemagne a été la patrie de la philosophie classique et, pour autant, cela ne l’empêche pas d’être tout aussi démocratique que la France et d’avoir l’économie la plus puissante de l’Union européenne. Le drame, c’est que la tradition de lutte française a franchi la Méditerranée pour se répandre dans les pays francophones où, parfois, pour un oui ou pour un non, on fait grève, juste pour braver l’autorité, qui, elle non plus malheureusement, ne s’abstient pas de prêter le flanc.
[readon1 url=”http://www.courrierinternational.com”]Source : courrierinternational.com[/readon1]