La révolution mobile en Afrique
Autrefois, le téléphone portable était réservé aux classes aisées tant son coût était exorbitant au regard du revenu moyen. En 1998, il y avait un peu moins de 4 millions de mobiles sur le continent. C’était il y a plus de dix ans. Puis, entre 2002 et 2007, le nombre d’abonnement a augmenté de 49 % par an en Afrique contre une moyenne de 17 % en Europe. Le président du Rwanda Paul Kagamé, passionné de nouvelles technologies, ne s’est pas trompé lorsqu’il déclarait en 2007 lors du sommet Connect Africa à Kigali : « en dix ans, le téléphone mobile qui était un objet de luxe est devenu un produit de base nécessaire en Afrique ».
Aujourd’hui, on compte plus de 500 millions de téléphones mobiles en usage en Afrique. Une révolution sociétale et économique en Afrique sub-saharienne où moins de 30 % de la population a accès à l’électricité alors que 11,5 % a accès à internet. En même temps que le téléphone mobile s’est imposé sur le continent, l’appareil a évolué d’une façon considérable pour devenir l’ordinateur de poche africain. L’innovation technologique irrigue désormais l’Afrique via ces téléphones mobiles grâce à des services sms et, pour les smartphones, par le web. Aujourd’hui, le mobile permet d’apporter des services bancaires, administratifs, médicaux, scolaires, entrepreneuriales…aux Africains, dont 60 % vivent dans des zones rurales.
Quand le mobile sert de banque
C’est en Afrique et en Asie que le paiement mobile a fait ses débuts dès 2006. A ce moment là, l’opérateur téléphonique kenyan Safaricom met au point le service M-Pesa avec le soutien du gouvernement britannique. Pour Michael Joseph, directeur général de Safaricom, l’idée était alors de transformer le téléphone mobile en une carte bancaire sans contraindre l’utilisateur à ouvrir un compte en banque. M-Pesa permet aux kenyans de déposer jusque 380 euros sur son compte mobile, d’effectuer des transferts d’argent vers ses contacts mais aussi des retraits dans certaines banques ou des achats. Une taxe est prélevée sur chaque transaction.
Quatre ans plus tard, M-Pesa compte 9,5 millions d’utilisateurs contre 8 millions de comptes bancaires traditionnels. En 2011, les 13,8 millions d’inscrits au service ont réalisé 30 % des échanges d’argent au Kenya. Et un peu comme sur un réseau social, la communauté d’utilisateurs se mobilise, s’organise et agit. Dernier exemple en date, jeudi 28 juillet 2011, les utilisateurs de M-Pesa ont rassemblé en 12 heures seulement plus de 140 000 euros, en donation de centimes, pour venir en aide aux victimes de la sécheresse qui frappe l’Afrique de l’Est.
Désormais, grâce au mobile, les africains non bancarisés des villes et des campagnes peuvent donc accéder à des services autrefois coûteux en argent et en temps. Il n’est pas rare de devoir consacrer une journée par mois pour payer de simples factures. Et dans une logique de services et de business, les offres se développent alors que moins de 20 % des foyers africains ont un compte en banque, selon la Banque Africaine de Développement.
Pour le responsable kenyan de Google en Afrique de l’Est, Joe Mucheru, la carte de crédit est aujourd’hui un service « préhistorique ». Partout en Afrique, le paiement par mobile révolutionne les pratiques. L’an passé, les sénégalais dénués de comptes en banques ont pu regarder la coupe du monde de football en payant par mobile leur frais de retransmission par satellite sur télévision. Un service autrefois réservé aux titulaires d’un compte en banque. Le système, Yoban’Tel a été lancé par l’entreprise spécialisé en paiement mobile Obopay en partenariat avec la Société Générale. Au Nigéria, l’opérateur MTN vient de lancer un service de paiement en ligne après avoir irrigué l’Ouganda dés 2009. Le marché et les opportunités sont colossales : moins de 30 millions des nigérians disposent d’un compte en banque alors que 90 millions d’entre eux ont un mobile. Au Sénégal, au Mali, à Madagascar, l’opérateur français Orange a lui aussi lancé son propre système de paiement en ligne.
Innovations
Mais le mobile ne sert pas uniquement pour le paiement. Un véritable écosystème d’innovation et de création technologique sur la plateforme mobile contribue à améliorer la vie des africains. Et il n’est plus surprenant pour un agriculteur de consulter le cours du marché depuis son mobile ou encore d’acheter des graines, des outils…
Plus innovant encore, l’entrepreneur ghanéen, Ashifi Gogo, 29 ans, utilise le téléphone portable pour lutter contre le gigantesque marché de la contrefaçon de médicaments en Afrique qui représente un marché de près de 500 milliards de dollars. Il a créé son entreprise, Sproxil, en 2009 et a conçu une solution simple : vendre aux entreprises pharmaceutiques locales et internationales des « labels » qui sont en fait des tickets à gratter, collés sur les emballages des médicaments. Le consommateur gratte cette étiquette pour lire le code qu’il doit ensuite envoyer par sms à Sproxil qui identifie, grâce à son logiciel, l’authenticité du médicament. Plus de 5 millions de « labels » sont en circulation au Nigéria. Et la start-up vient de recevoir 1,8 million de dollars de la part de Acumen, un fonds d’investissement à but non lucratif. Une nouvelle génération de développeurs africains enrichit cet écosystème mobile en développant des nouveaux services et applications.
Les réseaux sociaux sur mobile
Dans le contexte africain où le téléphone mobile domine très largement le marché, les réseaux sociaux s’adaptent. Conscient de l’impact des téléphones, Facebook a développé en Afrique une stratégie propre aux particularités « mobiles » des consommateurs.
Sur le continent, plus de 28,5 millions d’utilisateurs sont inscrits sur Facebook, soit près de deux fois plus que l’an passé. C’est en Afrique du nord et en Afrique anglophone qu’il y a le plus d’utilisateurs avec notamment 6,8 millions d’égyptiens et 3,8 millions de sud-africains présents sur le réseau.
Mais en Afrique du Sud, le réseau social local MXit, conçu dés ses débuts en 2003 pour mobile, devance très largement Facebook avec 10 millions d’utilisateurs inscrits. Et ce réseau rivalise directement avec le géant californien sur le continent, avec près de 24 millions d’utilisateurs.
Les jeunes sud-africains en raffolent pour communiquer en temps réel, tout en évitant les frais des sms traditionnels. C’est d’ailleurs sur ce créneau que l’opérateur français Orange et Google ont signé un partenariat stratégique fin juillet. Les deux entreprises allient les services innovants de Google à l’infrastructure de téléphonie mobile d’Orange qui déclare avoir 60 millions de clients en Afrique. Ainsi les clients d’Orange basés au Sénégal, en Ouganda et au Kenya peuvent discuter en direct avec Google SMS sans avoir besoin d’un smartphone. Le service va être étendu dans les mois à venir en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Niger et en Guinée Conakry. Et la tendance en Afrique transfère toujours plus de services initialement conçus pour le web vers la plateforme mobile.
Ce jeudi 4 août, les Nations unies ont annoncé un partenariat avec l’entreprise britannique Movirtu pour fournir des numéros de portable à trois millions de personnes, principalement des femmes, qui vivent en situation d’extrême-pauvreté en Amérique du sud et en Afrique.
La technologie mise au point par Movirtu permet de se connecter depuis n’importe quel mobile sur son propre numéro de téléphone. Ainsi, au lieu de partager un téléphone et un numéro unique d’appel, les membres d’une famille pourront chacun avoir leur propre numéro même s’ils n’ont pas de mobile. Cette innovation s’inspire de la technologie « cloud » qui permet aux internautes de stocker leurs données dans le « nuage », des serveurs externes accessibles de n’importe où et donc de se passer de disques durs personnels. « L’accès au téléphone mobile est un moyen d’améliorer le niveau de vie et d’augmenter le potentiel économique pour un milliard de personnes vivant avec un ou deux dollars par jour », veut croire Amanda Gardiner en charge de ce programme public-privé.
Source : RFI.fr