Adiel Akplogan, CEO d’AFRINIC: ‘‘Chaque gouvernement a envi d’avoir son mot à dire sur la gestion d’Internet’’ – (2ème partie)
Itmag.sn : Il a été question à un moment d’un pool d’adresses IP restant coté IANA que les registres devaient se partager, …qu’en est il exactement????
Adiel AKPLOGAN : Très bonne question, très intéressante ! Oui effectivement, comme je l’ai souligné tout à l’heure la façon dont les adresses IP sont gérés est défini généralement par la communauté, donc ce sont les opérateurs qui discutent, qui arrivent à un consensus sur le mode gestion des adresses non seulement par AFRINIC mais également comme vous l’avez bien noté au niveau d’IANA (Internet Assigned Numbers Authority), c’est-à-dire que les opérateurs définissent comment IANA gèrent les adresses avec les registres régionaux comme AFRINIC. Comme vous l’avez dit, il y a eu cette politique qui a été proposée l’année dernière pour que l’IANA réserve un certain nombre de blocs d’adresses IPV4 pour les registres à la fin, c’est-à-dire au moment où nous aurons utilisé tout le bloc qu’il gère, que le dernier soit reparti de façon uniforme c’est-à-dire chaque registre régional obtiendra d’IANA le même quantité d’adresses IP et ce sera à chaque registre de le gérer localement. Et à la fin de la discussion, il a été retenu qu’IANA réserve pour chaque registre un bloc de 16 millions d’adresses IPV4, donc 5 lots de 16 millions d’adresses vont être redistribués aux cinq registres. Ce sera à chaque registre de voir l’utilisation qu’elle en fera. Actuellement d’ailleurs, il y a des discussions en cours pour voir comment dans notre région, AFRINIC devra gérer ce dernier lot de blocs IPV4. Ceci implique l’identification d’infrastructures critiques qui pourraient obtenir ces adresses IPV4 en priorité, définir le minimum d’allocation qu’AFRINIC pourra faire aux opérateurs dans ce bloc, les conditions d’allocations à partir de cette étape. Par exemple, nous allons être plus rigoureux sur IPV6 en disant que nous ne vous allouerons des adresses IPV4 que si vous vous engager à déployer IPV6 en retour, si vous ne justifier pas d’un plan de déploiement IPV6, nous ne vous allouerons pas adresses en IPV4. Car nous sommes conscients que certains réseaux ont besoin d’IPV4 pour pouvoir planifier leur transition. Au niveau globale, il y a un accord sur le fait que qu’IANA réservera un bloc d’adressing /8 par registre, chaque registre aura la responsabilité de définir comment elle utilisera ces blocs.
Imaginons le scénario suivant : L’épuisement de toutes les adresses IPV4 chez les autres registres au moment où AFRINIC aurait encore en réserve des adresses en IPV4. L’ICANN ne pourrait elle pas nous obliger à partager ces adresses non encore utilisées mais dont nous aurons besoin plus tard ?
Oui, c’est l’une des idées philosophiques qui circulent actuellement. Mais déjà pour être précis là-dessus, aujourd’hui la façon dont la gestion des adresses est faite, il n’est pas possible sur internet. Chaque opérateur va router les adresses IP qui viennent de sa région, parce que derrière il y a des règles de routage qui sont appliqués au niveau du cœur du réseau. De façon formelle, il n’est pas possible pour un opérateur de venir au niveau d’AFRINIC pour pouvoir prendre ces adresses et les utiliser hors de la région. Par contre ce qui est possible et envisageable, c’est qu’un opérateur s’installe dans la région africaine, offre des services minimums et fédèrent ses services vers l’Afrique au lieu de l’Europe ou des états unis où il n’y a plus d’adresses IPV4 et essayent d’obtenir des adressent IPV4 de la région. Mais cela ne devient pas de la règle de base car ces adresses IP seront utilisées dans la région, même si c’est pour servir des utilisateurs qui sont dans d’autres régions. Ça c’est un peu la beauté, Internet n’est pas limité par les frontières géographiques que nous avons aujourd’hui. Maintenant il faut garder à l’esprit qu’IPV4 aujourd’hui est entrain de disparaître. Au lieu de créer des mécanismes pour pouvoir continuer à utiliser IPV4, la tendance c’est plutôt d’aller vers IPV6 et pour ça il faut commencer tôt. Pourquoi se battre sur des miettes d’adresses IPV4 alors que nous avons un protocole mur qui est IPV6 et qui peur être déployer en permettant une pérennité beaucoup plus grande. Je ne pense pas que les opérateurs dignes de ce nom vont mettre en place toute une stratégie pour s’installer en Afrique juste pour profiter de nos adresses IPV4. N’oublions pas que les 16 millions d’adresses IPV4 qui vont être redistribuées par IANA vont être consommées en très peu de temps dans les autres registres et plus lentement (3 ans) par AFRINIC. Donc se rabattre sur l’Afrique ne réglera pas le problème de ces registres car un seul d’entre eux pourrait consommer nos 16 millions d’adresses IPV4 en 3 mois. Donc il est peu probable de voir ce phénomène se produire.
En traitant de la priorité dans l’allocation des ressources rares que sont les adresses IPV4, le terme “infrastructure critique” est souvent revenu. Pouvez-vous nous donner des exemples d’infrastructures critiques ? Les opérateurs télécoms en font ils partis ?
Non. Les opérateurs télécoms n’en font pas partis, tous les opérateurs sont traités au même pied d’égalité puisqu’ils fournissent un même service Internet. Quand on parle d’infrastructures critiques généralement on fait allusion par exemple aux opérateurs de serveurs racines qui sont des serveurs fondamentaux pour le bon fonctionnement d’Internet, mais aussi des points d’échange Internet (IXP) qui sont cœur du fonctionnement d’Internet, il y a aussi les gestionnaires de noms de domaines nationaux ou ccTLD qui peuvent aussi être considérés comme des infrastructures critiques. Voila aujourd’hui ce qui est reconnu et accepté globalement comme infrastructures critiques. Donc les opérateurs télécoms ne sont pas infrastructures critiques et donc ne sauraient être priorisés dans l’allocation d’adresse IPV4.
Depuis quelques temps, la commission européenne insiste sur le fait que le mode de gouvernance de l’ICANN doit être revu. Rappelons qu’aujourd’hui l’ICANN est étroitement lié au ministère du commerce américain et les autres membres voudraient voir sa gestion devenir plus collégiale. Quel est l’avis de l’AFRINIC là-dessus ?
Ce n’est pas un nouveau débat en fait, ce n’est pas un débat qui a commencé avec la fin du CCA qui est le contrat qui lie l’ICANN et le gouvernement américain. Je pense qu’il faut replacer tout ce débat dans son contexte. Le contrat qui lie l’ICANN et le gouvernement américain est un contrat historique, n’oublions pas qu’Internet a été développé par le contribuable américain avant d’être étendu globalement, donc il est normal que le gouvernement américain dés le départ établisse un genre de supervision de ce qui se passe autour d’Internet. Le contrat à l’origine été de permettre à ICANN de transiter d’une gestion purement gouvernementale donc financée par le gouvernement américain vers une structure autonome qui obéit aux règles de l’industrie et qui s’adapte à la globalisation de ce média qu’est internet. C’est pourquoi l’on est parti d’un contrat au GPA qui en fait définit des règles, des métriques qui permettent d’évaluer ICANN pour dire s’il est mur maintenant et que vous n’avez plus besoin du concours du gouvernement américain.
Tout le monde est d’accord y compris AFRINIC sur le fait que ce contrat qui lie ICANN au gouvernement américain est arrivé à maturité et doit s’arrêter car ICANN aujourd’hui a grandi suffisamment et a développé suffisamment de mécanismes internes pour pouvoir survivre sans le contrôle d’un gouvernement quel qu’il soit.
Maintenant revenons à un aspect de votre question qui parle de la gestion collégiale. Je pense que ICANN est géré de la façon la plus collégiale que puisse être parce que dans la plupart de ces processus suit le même principe « ascendant » aussi appelé « Bottum UP » où ce sont les utilisateurs, la communauté qui définit ce que fait ICANN, a des degrés différents mais il y a une forte culture participative « multi stakeholders » comme on dit, qu’on ne retrouve pas dans la plupart des institutions intergouvernementales. Ce mode de gestion donne un poids énorme à l’industrie et aux utilisateurs finaux qui s’intéressent à leurs processus. Donc il y a assez de mécanismes qui garantissent une collégialité de sa gestion.
Maintenant, comment s’assurer que la place que va laisser le gouvernement américain ne sera pas vacante et qu’il n’y aura pas une sorte de récupération d’ICANN ? Je pense personnellement, et c’est une position qui n’engage pas AFRINIC, que les mécanismes en place sont assez murs pour pouvoir résister à d’éventuelles tentatives de récupérations. L’Union Européenne a émis l’idée d’avoir un groupe de gouvernement qui remplace l’autorité américaine, ils l’ont appelé je G15 je pense, mais c’est une piste qui doit également avoir l’assentiment de la communauté qui doit accepter de mettre l’ICANN sous la tutelle d’un groupe de gouvernement. Internet est devenu un outil fondamental dans le développement économique des Etats, et chaque gouvernement a envi d’avoir son mot à dire sur Internet. Mais je pense que les gouvernements ont beaucoup plus à faire dans la création d’environnement favorable au niveau de chaque pays propice au développement d’Internet, favoriser le développement d’infrastructures, créer et renforcer les communautés locales afin qu’elles soient plus actives dans les processus comme ceux d’ICANN d’AFRINIC et des autres RIR de telles sorte que leurs besoin soient pris en compte.
Bref, AFRINIC en tant que institution est pour la fin du GPA entre ICANN et le gouvernement américain. Nous croyons que ICANN est doté de mécanisme suffisants pour s’autogérer et que les gouvernements ont besoin de renforcer leurs présences au sein d’ICANN dans des organismes comme le GAC (Governmental Advisory Committee) qui est un comité composé de gouvernement et qui a vocation à donner des directives et conseiller le board d’ICANN sur les décisions qu’il prend. Donc les gouvernements et l’union européenne doivent renforcer leur participation au sein du GAC et d’aider les communautés locales à prendre part de manière active dans les processus.
Mais le fait de nommer un ancien de la cybersécurité américaine, à la tête de l’ICANN quelques mois seulement avant la fin du fameux contrat, n’est ce pas là une manière pour les USA de réaffirmer leur hégémonie sur ICANN ?
Encore une fois, oui, j’ai déjà entendu ce raisonnement depuis la semaine dernière. M. Rod (NDLR : Rod Beckstrom, le nouveau CEO de l’ICANN) que j’ai eu le privilège de rencontrer la semaine dernière… Il y a quelque chose qu’il faut comprendre au niveau d’ ICANN, le conseil d’administration est formé par des personnes élues par les différents stakeholders, les différentes parties prenantes d’Internet, il est hétéroclite et est à mon avis n’est pas forcement acquis au gouvernement américain. Donc je trouve qu’il sera difficile qu’il y est à la tête d’ICANN une personne pour servir uniquement les intérêts américains parce qu’il y a encore une fois une communauté qui peut exprimer à tout moment exprimer de façon claire et net son désaccord sur la direction que prend ICANN. Et quelques soit la personne qui soit à sa tête. Je ne pense pas déjà de M. Rod soit un danger pour les processus notamment car ce qui compte pour moi c’est que ce processus participatif puisse être préservé. De plus, son background nous montre que c’est quelqu’un qui a quitté son poste en manifestant son désaccord sur la politique de la cybersécurité, ce serait surprenant qu’à la tête d’ICANN, cette même personne puisse servir les intérêts du gouvernement américain.
Ce gouvernant américain reconnaît lui même que la gestion d’Internet ne peut plus être leur seul prérogative parce qu’Internet fait plus que les États Unis. Aujourd’hui la population des utilisateurs hors USA a surpassés les internautes américains. Il est clair qu’Internet a pris des proportions planétaires qui ne peuvent plus être du ressort d’un seul gouvernement. Et il y a une fois de plus une communauté derrière qui doit pouvoir jouer ce rôle afin d’être le garde fous de toute sorte de récupération d’où qu’elle vienne.
Quel est le poids actuel de l’Afrique dans le mode gestion de l’ICANN ?
La représentation de l’Afrique est diverse, il y a plusieurs gouvernements africains qui envoient leur représentant au niveau du GAC, dont le Sénégal est un des membres actifs. Les africains sont représentés au niveau du board d’ICANN (deux représentants), au niveau du staff, au niveau de la participation aussi. Mais ne nous leurrons pas, l’Afrique demeure la région où nous avons la plus faible pénétration et la plus faible industrie en ce qui concerne Internet, donc il ne faut pas s’attendre à ce que la participation de l’Afrique soit équivalente à celle d’autres régions comme l’Asie qui est plus actif parce qu’ils ont une industrie vibrante et dynamique qui a prie toute la mesure des enjeux d’Internet dans le développement économique de leur pays. L’Afrique n’a pas encore atteint ce niveau d’utilisation de pénétration où Internet devient un outil économique fondamental. Et nous, nous arrivons à mesurer l’impact de cet outil sur les différentes politiques. Il est naturellement difficile à nos pays de pouvoir faire de la participation dans le monde d’Internet un élément stratégiquement important. On le voit clairement dans la participation au niveau d’ICANN, seule les pays où Internet a atteint un certain niveau de développement sont activement partie prenantes dans les discussions. Donc oui, l’Afrique est très présente au niveau ICANN mais on ne peut pas comparer la participation africaine à la participation asiatique ou américaine pour des raisons historiques et économiques.
Ne pensez vous pas que c’est l’occasion où jamais pour l’Afrique d’avoir un plus grand rôle et j’entends par là une plus grande part dans la gestion de l’Internet au niveau mondiale ?
ICANN n’a rien à voir directement avec le développement d’Internet en Afrique, il faut qu’on arrête de se leurrer. Nous nous focalisons sur un mode de gestion qui n’est plus à l’ordre du jour. Le développement d’Internet en Afrique est d’abord quelque chose de local. Donc si l’Afrique augmente sa participation au sein d’ICANN, ça ne changera en rien la situation du développement d’Internet en Afrique. Nous sommes conscients qu’il y a un fort potentiel en Afrique car la pénétration est faible. Il faut chercher à comprendre pourquoi avec ce potentiel nous n’arrivons pas à améliorer ce niveau de développement d’Internet. Dans la plupart des cas il y a des raisons externes qui font que l’Afrique est en retard, et ce n’est pas que dans Internet, nous retrouvons la même situation dans le secteur des télécoms où nous avons des taux de pénétration très faibles très loin de ceux des pays des autres régions.
Donc augmenter la participation dans les processus d’ICANN ne changera pas grand-chose car ce n’est pas ICANN qui défini les règles de développement dans nos pays. Que ICANN vienne s’installer ou qu’elle ouvre des bureaux en Afrique augmentera la proximité mais ne changera pas grand-chose au développement d’Internet dans la région. Je pense qu’il y a un gros travail à faire au niveau de chaque gouvernement afin de faire du développement d’Internet un élément clé dans leur stratégie globale. Tant que nous n’aurons pas fait ça, il ne faut pas jeter le blâme ailleurs.
Nous avons des mécanismes en place, par exemple au niveau de la gestion des adresses nous avons le processus du développement des policies d’AFRINIC entièrement orienté vers l’Afrique et tout le monde a la possibilité de participer pour définir la façon dont nous voulons que ces ressources soit gérées en Afrique et également pour permettre à AFRINIC de pouvoir être le porte flambeau pour pouvoir refléter ces points sur l’échiquier international. Donc je pense que la représentativité africaine aujourd’hui est à la hauteur ou à la mesure de ces capacités et de son développement dans le domaine d’Internet et nous avons besoin d’améliorer cette capacité et d’augmenter cette participation en renforçant les infrastructures et les opérateurs locaux.
Toute la rédaction d’itmag.sn se joint à nous pour vous remercier d’avoir bien voulu nous accorder cet interview. Merci et à Bientot!
Propos recueillis par Amadou Makhtar FALL et Mountaga CISSE