TIC : Les nationaux déconnectés des gros deals…
Les marchés se suivent et se ressemblent pour les entreprises nationales évoluant dans les TIC. Les entreprises étrangères raflent quasiment tout.
Les marchés TIC seraient-ils trop lourds pour les entreprises sénégalaises ? Au vu de la razzia des entreprises étrangères dans les marchés de l’Etat, on serait tenté de répondre par l’affirmative.
D’abord, le marché des visas biométriques, estimé à plusieurs milliards FCFA, est tombé entre les mains d’une entreprise ivoirienne, SNEIDAI, propriété d’Adama Bictogo, un homme d’affaire ivoirien. Ainsi, l’entreprise et l’Etat du Sénégal se partagent les recettes à hauteur de 50% pour chaque partie. Un marché attribué «par entente directe, pour des raisons de sécurité», selon les autorités sénégalaises.
Autre marché lucratif qui a échappé aux privés nationaux, celui de la confection des cartes d’identité numériques. Un marché de 1,289 milliard, attribué à la société anglaise De La Rue. Toujours par entente directe…
Mais selon Antoine Ngom, Président de l’Organisation des Professionnels des TIC (OPTIC), la situation est plus que dramatique, parce que, «ce qui nous intéresse, ce sont les projets structurants. Mais après analyse, il n’y a presque pas de sociétés nationales qui les réalisent. Prenez le projet des passeports, des cartes d’identité, des visas biométriques, les logiciels de gestion des impôts, il n y a que des sociétés étrangères. Des projets critiques, sensibles qui ne sont pas pilotés, gérés, par des entreprises nationales alors que l’expertise exigée est disponible et bien maitrisée».
Pourtant, aujourd’hui, même si elles ne sont pas présentes dans les gros marchés de l’Etat, les entreprises nationales sont bien cotées dans les pays environnants. D’ailleurs, elles comblent le déficit de rentrées de devises par l’exportation de leur savoir-faire. D’après l’OPTIC, la plupart des entreprises nationales ont un chiffre d’affaires à l’export supérieur à celui réalisé au niveau national. Ce qui prouve la capacité de ces entreprises à briguer les grands marchés. Alors, ayant l’expertise nécessaire et la chance d’être «national», pourquoi un tel ostracisme ? «La problématique de la présence des entreprises étrangères ne se pose pas en termes d’expertise, mais plutôt de capacité financière et d’expérience dans la réalisation des grands projets. Dans certains appels d’offres, il y a des conditionnalités en matière de capacité financière, d’expérience, de réalisation de projets de taille analogue dans des secteurs identiques. Prises individuellement, nos entreprises n’ont pas forcément ces capacités et ces expériences», analyse-t-il.
Consortiums, sous-traitance, co-traitance… ou disparaître
Même si elles ont des atouts certains à faire valoir, nos entreprises TIC pâtissent de la faiblesse de leur poids financier. D’ailleurs, elles semblent en avoir pris conscience. Pour rectifier ce désavantage concurrentiel, elles ont décidé de se regrouper en consortium. «Nous avons compris la nécessité de nous organiser. Nous avons, depuis quelque temps, pris l’initiative de monter des consortiums. Ils vont permettre, en fait, de palier la capacité financière et le manque d’expérience. En mettant ensemble des entreprises qui ont eu à réaliser dans différents domaines, certains projets au Sénégal ou à l’étranger, on peut arriver à rivaliser, sérieusement,avec des entreprises étrangères», souligne-t-il.
Au-delà, les entreprises nationales devraient bénéficier de certaines réformes de la part de l’Etat. «L’Autorité contractante doit mettre des garde-fous pour favoriser la co-traitance et la sous-traitance. Sur des grands projets, on ne peut pas forcément imposer à l’Etat de ne pas s’entourer de garanties parce que souvent, ce sont des financements venant des bailleurs de fonds qui posent des conditionnalités pour les soumissionnaires. Mais l’Etat peut faire de telle sorte que l’Autorité contractante puisse favoriser la présence de sociétés sénégalaises à travers des groupements qui font de la co-traitance et aussi de la sous-traitance. C’est une des possibilités qui s’ouvre à l’Etat pour influer positivement dans la gestion de cette problématique», poursuit M. Ngom.
Connue pour ses positions tranchées, l’OPTIC n’y va jamais sans propositions. «Aujourd’hui, le premier point à régler, c’est la Stratégie nationale du numérique. Nous n’en avons pas… Il faut qu’on sache les priorités pour l’Etat du Sénégal et le cap à suivre. Quels sont les objectifs ? Quel plan d’action pour que tout le monde ait les mêmes objectifs ?Une stratégie est en préparation et bientôt, on va pouvoir la finaliser et la partager. Mais, ça ne vient que tardivement. On ne peut pas rester 5 ou 6 ans sans Stratégie nationale sur le numérique. En termes d’environnement, c’est un problème. Ensuite, il y a le dispositif institutionnel à rendre beaucoup plus efficient. Pour le passage au numérique, on s’est plaint du CONTAN. On s’est dit que ce n’est pas là-bas que ça devait se faire. On a des échéances en juin 2015. C’est tout un sujet qu’on doit traiter et laisser les autres sujets aux autres acteurs. La question de la fibre optiqueest, aujourd’hui,à traiter, de manière sereine. Qu’il y ait une mutualisation des infrastructures. L’Etat et les opérateursdoivent s’asseoir autour d’une table et en discuter. Tout ça pour dire qu’on devrait revoir le dispositif institutionnel pour que les décisions structurantes engageant l’avenir du secteur puissent être prises en concertation avec tous les acteurs», plaide-t-il.
Un Conseil National du Numérique…
Dans le cadre du PSE, les autorités ont fait une place de choix à l’économie numérique avec la mise en place d’un «IT Board», que les professionnels appellent Conseil National du Numérique. Selon M. Ngom, les autorités ont pris conscience que le dispositif institutionnel pose problème. «On a convenu ensemble, dans les grandes lignes, de la manière de procéder. Très bientôt, vous verrez cette réforme mise en œuvre. Il y a des projets très importants comme la Ville numérique de Diamniadio, les zones aménagées pour mettre en place des Techno-parcs. Des projets sur lesquels on est impliqué où on travaille, en collaboration avec l’Etat, pour voir comment s’intégrer au maximum afin de réaliser ces projets prioritaires du PSE concernant le numérique. Aussi, dans le cadre de l’environnement des affaires, on doit soutenir l’innovation. Quand vous voyez Facebook, Twitter…, nos porteurs de projets peuvent avoir des idées similaires. Mais, malheureusement, il n’y a pas de fonds pour l’innovation qui permettent de les soutenir, malgré le fait qu’on a mis en place un incubateur », dixit M. Ngom.
Quand l’ARTP ne joue pas son rôle…
Autre aspect non moins négligeable, c’est l’accès aux financements. Et M. Ngom estime qu’un fonds de l’innovation pourrait être la solution. C’est, d’ailleurs, dans ce sens que des conventions ont été signéesavec la BNDE et le FONGIP… Mais pour M. Ngom, l’Agence de Régulation des Télécommunications et des Postes (ARTP) tarde à jouer sa partition. «On ne doit pas avoir de problème de promotion, de financement dans notre secteur. Il faut faire en sorte que les fonds de l’ARTP puissent être injectés dans le secteurpour venir en assistance à l’écosystème des PME, du numérique. C’est quelque chose d’inadmissibleet d’insupportable pour nous. Les fonds du Service universel, qui devaient servir à financer le secteur, continuent d’aller, à 95%, au Fonds de Soutien à l’Energie. Ce n’est pas normal… Depuis le Plan Takkal, on pensait que s’était provisoire… Nous souhaitons qu’au moins, la moitié de ces fonds reviennent au secteur…», souhaite-t-il.
Oumar Fédior
Sourc : Magazine RÉUSSIR