Une affaire de gros sous : Zones d’ombre dans la transition de l’analogique au numérique
C’est par le truchement d’un communiqué d’une société qui estime avoir été lésée que les cafards sortent du trou. Derrière la bataille judiciaire opposant Excaf Telecom, société créée par Ben Basse Diagne et Africa transaction processing & services (ATPS), se cachent des enjeux financiers de taille. Que cache cette bataille de Titans. En vérité, les termes du contentieux mettant aux prises les acteurs du passage de l’analogique au numérique ne sont pas clairs. Entre ce qui est montré ou caché, ce qui est dit ou tu, les zones d’ombre sont persistantes. Mais en jetant un coup d’œil dans le trou de la serrure, on y voit plus clair…
Si les hostilités entre Excaf Télécom et Africa transaction processing & services (ATPS) datent d’un an, c’est seulement dans le courant de la semaine dernière que la nouvelle a été rendue publique. C’est un communiqué de presse de la société Africa transaction processing & services (ATPS) qui se charge de la publicité. La nouvelle a été relayée par les médias sans du reste que la réaction du Directeur général d’Excaf Télécom, Sidy Diagne, ne soit sollicitée.
Le Tribunal de Grande instance hors classe de Dakar, à travers une décision de justice rendue le 30 octobre 2015, demande “l’arrêt de la commercialisation des décodeurs par Excaf Télécom ainsi que la mise sous scellés de décodeurs disponibles”. Que s’est-il exactement passé ? A en croire l’avis diffusé par la société Africa transaction processing & services (ATPS), “Excaf Télécom a commercialisé les décodeurs TNT by Excaf, de façon détournée à d’autres grossistes et ce, sans en informer ATPS Sénégal”. Une procédure qui violait le contrat conférant à ATPS la qualité de distributeur exclusif de décodeurs TNT by Excaf sur l’ensemble du territoire. La réalité est beaucoup plus complexe.
Au commencement…
En vérité, les hostilités commencent dès la signature du contrat entre les deux sociétés représentées par Sidy Oumar Massar Diagne et Thioye Mouhamadou Taha, respectivement Directeur général d’Excaf Télécom et directeur d’Africa transaction processing & services (ATPS). Il s’agit d’assurer le financement et la distribution des décodeurs. Le contrat à la date du 20 février 2015 dont nous détenons copie indique dans son article 7 que “le distributeur s’engage à développer le plus grand marché possible pour les produits sur le territoire et devra continuer d’offrir, de faire la publicité et de promouvoir la vente des produits sur le territoire”.
Dans le même article, il est noté que “durant la période contractuelle, un nombre total estimatif d’un million de décodeurs devra être vendu dont quatre cent mille décodeurs dans la seule région de Dakar. Le contrat verrouille la relation d’affaires dans plusieurs articles du document de telle sorte qu’il est presque impossible de se soustraire à ses exigences. Mais comme une scène d’adultère en pleine lune de miel, ATPS accuse Excaf, quelques jours seulement après la signature du contrat, d’avoir simultanément signé un contrat similaire avec Fall Distribution. Un chèque de 600 millions de francs Cfa est cédé, mais qui ne sera pas empoché par Excaf pour défaut de paiement. Ce contrat fera long feu, du fait sans doute qu’ATPS va taper sur la table. Plus tard, malgré ce “faux départ”, ATPS met en mode prépaiement 2 125 000 000 F CFA, en deux tranches.
La première, 850 000 000 F CFA, sera payée le 16 juillet 2015 alors que le 1 275 000 000 F CFA constitue des traites qui commencent le 22 juillet 2015. Le tout devant servir à l’achat d’une première commande de 250 000 décodeurs. Une commande qui ne sera du reste pas livrée par Excaf Telecom qu’on accuse, toujours d’après ATPS, de commercialiser le produit par des circuits obscurs. Les traites ne seront donc pas réellement engagées.
En fait, des sources proches d’ATPS accusent le patron d’Excaf Telecom d’avoir une tendance quasi-naturelle à flirter avec l’informel. Déjà, pour un contrat aussi important, pouvant hypothéquer les chances de réussite du projet, Sidy Diagne ne prend pas la peine d’informer le Comité national de pilotage de la transition de l’analogique vers le numérique (CONTAN) qui est pourtant l’organe d’Etat qui supervise et oriente ce bond technologique qui est censée révolutionner la vie des Sénégalais. Pour quelles raisons ? A-t-il cherché à trouver une solution après que plusieurs grandes banques de la place, surtout celles françaises lui ont fait faux bond au dernier moment ?
En tout cas, l’affaire ne tarde pas à s’ébruiter. Surtout à cause des lenteurs enregistrées dans le démarrage du projet, fixé au 17 juin 2015 au Palais de la République. Si en effet, le contrat de distribution est signé le 20 février, aucun décodeur n’est mis dans le circuit du fait de ce partenariat, au point d’affoler le Palais.
Aujourd’hui, Sidy Diagne veut bien reconnaître que c’est sa structure et non ATPS qui avait financé l’opération d’acquisition des 5 000 décodeurs qui avaient servi à démarrer le projet. “Même pour la phase test, c’est Excaf qui avait financé. ATPS était incapable de le faire car elle n’avait pas la surface financière”, révèle le Directeur général d’Excaf. “Ils nous avaient dit qu’ils en avaient la capacité. Ce n’était pas le cas”, assène-t-il, en réponse aux attaques venant de ATPS.
Cette société ne veut pas l’entendre de cette oreille. Bien qu’étant de droit sénégalais, elle s’adosse bien sur le coussin d’une banque marocaine spécialisée dans les Finances. Ce qui constitue pour elle un avantage certain. Ou un leurre !`
L’argent et les multinationales
Mais aujourd’hui, les carottes semblent bien cuites et la tension est à son paroxysme entre les deux sociétés. ATPS est revenue sur les traites de 1,125 milliard qu’elle avait contactées avec une banque de la place pour l’acquisition de décodeurs. Du reste, le virement de 850 millions de francs Cfa est bel et bien effectif. C’est pourquoi Sidy Diagne n’a d’autre choix que de rembourser. “On a pris l’engagement de leur livrer les décodeurs manquants au plus tard le 15 décembre prochain. On leur doit 74 880 décodeurs, pas plus”, reconnaît-il. Excaf a pris aussi l’engagement d’honorer les traites auxquelles ATPS a renoncées. Pour lui, c’est une question de crédibilité. “Il faut que les gens comprennent que ce qui nous intéresse, c’est que le maximum de Sénégalais puissent avoir le décodeur. C’est cela qui va nous permettre d’avoir de l’argent et d’avancer dans le processus”, avance-t-il.
Dans cette affaire, Excaf Télécom, qui est loin d’être exempte de tout reproche, est comme cernée de toutes parts. Déjà, révèlent nos sources, au départ du projet, elle a très vite compris que les banques, contrôlées en grande partie par les lobbies d’affaires français n’allaient pas l’accompagner. “Les Français, surtout Canal et donc Bolloré ne veulent pas laisser cette affaire leur glisser entre les doigts.”
Un membre du secteur explique que si Excaf réussit, ce serait non seulement un manque à gagner énorme pour Canal, mais aussi un “mauvais exemple pour la sous-région, en Côte d’Ivoire et ailleurs”. Suffisant pour mettre la gomme ! Même le Chinois StarTimes qui dispose d’un atout clé : une offre globale, comprenant l’infrastructure, la diffusion des programmes puisqu’il édite une trentaine de chaînes et une solution financement complète, est dans les startingblocks.
Présent au Nigeria, au Rwanda, au Burundi, en Guinée Conakry, en République Centrafricaine, au Kenya, au Mozambique et en Sierra Leone, il était en négociation avancée au Sénégal dans le cadre d’un partenariat avec l’opérateur local Excaf. C’est dire que la course vers l’or africain va bien avec le numérique.
Pourquoi TOP a été… démissionné
Excaf ne sera sûrement plus jamais seul dans ce processus. L’Etat a en effet décidé, par la voie de Contan, de valider toutes décisions qui seront prises qui impliquent l’avenir du processus. Ce dossier étant signalé “politiquement sensible”, l’Etat ne veut rien laisser au hasard. Il jette son regard sur tous les aspects du fonctionnement de la structure Contan. Déjà, il semble avoir joué le rôle de catalyseur dans la “démission-limogeage” de Amadou Top, ex-directeur exécutif du Contan. L’on nous signale qu’une task-force (composée de membres de la Primature et du Contan) avait dernièrement été mise en place sur suivre les décisions prises au niveau de l’aile opérationnelle du Comité national de transition.
Signe de l’intérêt que l’Etat accorde à ce dossier, la gestion exécutive du Contan avait été critiquée par le Premier ministre Mahammad Boun Abdallah Dionne, lors d’une réunion qui avait fortement incommodé Amadou Top. Des carences dans le management du projet avaient été relevées. Attaqué dans sa gestion, Top avait expliqué qu’il avait joué son rôle en alertant. Réplique du Premier ministre : “Il ne s’agit pas d’alerter mais de régler les problèmes.”
Top était sorti de cette rencontre, assuré que ses jours étaient comptés. Il avait raison puisque, selon des sources dignes de foi, le décret le limogeant avait fini d’être rédigé. En bon maoïste, il a anticipé…une chute certaine, en démissionnant. Et d’ailleurs, le cas Top est assez intéressant puisqu’il fut l’allié le plus solide d’Excaf. Jusqu’où est-il allé dans ses liens avec le groupe ? Mystère et boule de gomme. En tout cas, il fut un temps, bien récent, où il semblait avoir ses bureaux à Excaf Télécom et non au siège du Contan. Il a beaucoup joué dans le choix d’Excaf. C’est pourquoi son départ n’est pas sans bruit.
On évoque aussi l’utilisation qui a été faite par ses soins des 500 millions de francs Cfa de budget que l’Agence de régulation des télécommunications et postes (ARTP) avait mis à sa disposition. Personne, au niveau du Contan, ne semble être au parfum de l’usage qui a été fait de cet argent. Un grand mystère en espèces sonnantes et trébuchantes à élucider…
Yaya Abdoul Kane confirme le manque de décodeurs
Le ministre des télécommunications et des postes est passé hier à l’Assemblée nationale. Une occasion pour les députés de l’interroger sur la transition numérique, particulièrement les décodeurs TNT. Les élus déclarent avoir constaté que non seulement les décodeurs sont devenus introuvables, mais en plus ils se vendent à plus de 10 000 francs, le prix officiel. “Les décodeurs sont vendus dans la rue, jusqu’à 15 000 francs parfois”, s’inquiète Aïssatou Sabara qui y voit un double enrichissement sur le dos des Sénégalais.
Le ministre Yaya Abdoul Kane a reconnu qu’il existe effectivement un manque de décodeurs. Il a d’ailleurs révélé que le premier ministre a mis en place une task-force pour que le processus arrive à terme à la fin de l’année. Yaya Abdoul Kane qui ne s’est pas exprimé sur le différend entre Excaf et ATPS est resté sur les principes. Comme quoi, l’Etat a signé avec la société dirigée par Sidy Diagne. Laquelle s’est engagée à fournir 865 000 décodeurs aux Sénégalais. “Nous veillons. Si l’opérateur n’arrive pas à respecter ses engagements, l’Etat prendra les décisions qui s’imposent”, rassure-t-il.
Ibrahima Khalil Wade et Babacar Willane
Source : Seneplus