La 4G maintenant, mais pas n’importe comment !
Dans un article intitulé « Sénégal, la Nouvelle Frontière » que j’ai publié dans le numéro de juillet 2013 du journal Réussir, j’écrivais : « Dans une étude récente – décembre 2011- commanditée par le GSMA [1], il est démontré que la libération du dividende numérique et l’affectation aux opérateurs mobiles des fréquences nécessaires à l’Internet très haut débit auraient un impact sur le PIB de 158 milliards FCFA entre 2015 et 2020, entraînant la création de 271 000 emplois. Au-delà des chiffres, c’est un truisme de dire que le très haut débit ouvre le champ de tous les possibles, la voie à tous les usages possibles et imaginables et laisse libre cours à la créativité et à l’innovation. En effet, lorsque le réseau s’oublie et que la technique devient invisible et s’efface derrière les usages, alors, « cent fleurs peuvent s’épanouir et cent écoles rivaliser… ».
Et je proposais :
« Il faut lancer, en concertation avec les opérateurs et autres acteurs intéressés, une initiative « la 4G maintenant ! » pour une large couverture de la population en services Internet très haut débit dans un délai de 3 à 4 ans, selon des modalités techniques et financières à négocier… ».
La récente publication d’un appel d’offres pour la fourniture d’une infrastructure LTE 4G est à plus d’un titre surprenante, voire inquiétante. En effet, la démarche utilisée semble être aux antipodes de l’esprit constructif de dialogue et de concertation qui a fait ses preuves et qui a toujours prévalu dans le secteur des TIC entre l’état et les différentes prenantes aux moments des grandes décisions structurantes : séparation de la poste et des télécommunications et regroupement de l’ensemble des activités de télécommunication dans une société nationale à autonomie de gestion en 1985, décision de privatiser Sonatel avant de libéraliser le secteur. En outre, elle ne rassure ni les acteurs ni les investisseurs quant à la clarté de la vision de l’état et à la solidité et la cohérence de sa stratégie en matière d’Internet haut et très haut débits, pierre angulaire de l’économie numérique. Il suffit juste de rappeler que la procédure d’attribution de licences de services de télécommunication est clairement définie dans la loi (Code des Télécommunications) et que l’ARTP a déjà autorisé les opérateurs mobiles à construire des réseaux et à lancer en test des services 4G.
Encore plus étonnant, les arguments avancés par celui qui semble être le porte-drapeau de cette nouvelle démarche ne convainquent guère les personnes averties et ne résistent pas à l’analyse.
Qui peut croire qu’un monopole d’état sur les infrastructures 4G est une meilleure solution pour assurer des prix plus bas qu’une compétition ouverte et efficacement régulée ?
Qui peut croire que le fait de faire de l’état le propriétaire exclusif des infrastructures 4G et de confier leur gestion à un opérateur unique fera du Sénégal un eldorado numérique ?
Pourquoi un état si peu riche et devant faire face à d’énormes défis dans l’éducation, la santé, l’agriculture, le transport et dans bien d’autres secteurs devrait-il dépenser l’argent des contribuables dans des investissements que le privé est prêt à assumer ? Comment pourrait-il suivre l’évolution rapide des technologies numériques ?
Qui peut imaginer que le retour à un monopole d’état dans les télécommunications est gage de transparence et bonne gouvernance ?
Est-ce un signal positif adressé aux investisseurs étrangers et nationaux que de vouloir écarter de la construction et de l’exploitation des réseaux numériques du futur les trois opérateurs mobiles actuels ?
Que serait une société d’électricité à qui il serait interdit d’investir dans les énergies renouvelables ? Un constructeur automobile interdit d’investir dans la voiture électrique ? Un industriel de l’agro-alimentaire interdit de développer son activité dans l’agriculture biologique ou les OGM ?
Dans le domaine des TIC, la décennie 2000 – 2010 a été celle des occasions manquées, des voeux pieux, des espoirs déçus, des théories fumeuses et très concrètement celle de l’amorce du recul du leadership du Sénégal en Afrique. Il faut éviter, par des décisions inutilement précipitées, non concertées et incompréhensibles, que le Sénégal ne perde complètement son atout maître qu’est sa position encore forte en Afrique dans les TIC. Il est encore temps de redresser la barre afin de permettre au Sénégal de tirer le meilleur parti de l’économie numérique : il suffit simplement de retirer le lot 3 (Infrastructure LTE 4G) de l’appel à candidature lancé le 20 janvier 2014 et de lancer immédiatement une large concertation sur les modalités de l’introduction rapide de l’Internet très haut débit au Sénégal, conformément à la tradition positive qui a toujours prévalu avec succès dans le secteur des TIC.
Sans vouloir se substituer, sans raison intelligible, aux acteurs privés, l’état pourra alors rester maître du jeu et jouer sa vraie partition en définissant un cadre transparent pour aller rapidement et résolument vers la 4G. Le véritable enjeu sera alors d’en tirer les meilleurs bénéfices pour l’économie et la communauté nationales, notamment en termes d’aménagement du territoire, d’accessibilité des services et de création d’un écosystème d’innovation apte à faire du Sénégal un pôle de référence en matière de services numériques.
Samba Sène
Acteur du secteur des TIC
samba.baccsene@gmail.com
http://www.n3minnov.blogspot.fr
Twitter : @BaccSene
[1] The benefits of releasing spectrum for mobile broadband in Sub-Saharan Africa, a report for the GSMA, December 2011