La fin de Viber, Imo, Whatsapp, Skype… ?
La tension entre OTT et opérateurs de télécoms ira en s’aggravant. Ces derniers initient une nouvelle phase technologique par laquelle ils atteindront davantage de clients et génèreront plus de trafic
Devons-nous payer pour viber, skype et autres ? C’est l’impression que nous avons eu à la lecture d’un article paru dans le Quotidien du dimanche 27 décembre sous le titre : «L’ARTP étudie les moyens d’encadrer le réseau». L’article rapportait que l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) avait été saisie de «plaintes récurrentes de la part des opérateurs de téléphonie du Sénégal par rapport aux pertes sur leurs chiffres d’affaire» que leur cause l’utilisation de ces applications dites Over The TOP (OTT), Viber, Skype, WhatsApp et autres, sans parler des pertes de recettes fiscales pour l’Etat.
L’article se faisait aussi l’écho des griefs de la SONATEL à l’égard de ces OTT qui «génèrent des revenus considérables de plusieurs centaines de milliards en s’appuyant sur nos infrastructures, sans contrepartie pour les opérateurs détenteurs de licence et les Etats». Et de citer ce responsable évoquant le cas de ces «pays du Moyen Orient qui ont pris des mesures d’interdiction. Ils ont interdit la voix par exemple : on peut échanger des SMS mais on ne peut pas s’appeler parce que ce sont aussi des questions de sécurité».
On comprend dès lors l’émoi qui s’est saisi des Sénégalais pour qui Viber, Skype, WhatsApp, YouTube et autres applications de ce type sont devenues des moyens de communication quotidiens avec leurs familles à travers le monde et des outils indispensables pour la conduite de leurs commerces ou encore des supports de développement d’activités numériques.
Heureusement que l’ARTP publiait dès le 28 décembre une mise au point sous la signature de son directeur général précisant que l’autorité de régulation «n’est nullement dans les dispositions de demander le blocage d’une quelconque application au Sénégal». Indiquant seulement «qu’en tant que garant de l’équilibre du secteur des Télécommunications et des Postes et à l’instar de certaines organisations internationales, elle a initié une réflexion afin d’évaluer l’impact technique et socioéconomique de ces OTT au Sénégal».
Dont acte. «Cette mise au point va dans le bon sens, nous confirme cet expert sénégalais que nous avons consulté. Il convient effectivement de s’accorder sur le fait qu’on ne peut pas demander aux Sénégalais de payer pour avoir accès à Skype, Viber, WhatsApp, etc.. Parce qu’ils payent déjà aux opérateurs un tarif, bien supérieur à celui qui a cours en Europe par exemple pour avoir accès à l’Internet. C’est comme si on vous demandait de payer un supplément sur une autoroute à péage pour chaque passager transporté dans votre voiture.»
En outre, l’expert nous a fait observer que l’avènement de ces OTT va dans le sens du développement normal de l’Internet et des Tic qui proposent sans cesse de nouvelles technologies et applications qui rendent obsolètes d’autres. Il dit : «Ces opérateurs de téléphonie mobile ont mis fin à l’ère des cybercafé et des télécentres qui ont connu à une époque un essor phénoménal au Sénégal et employaient des dizaines de milliers de jeunes. De même le courrier électronique a pratiquement mis fin au monopole de la Poste sur le courrier. Et maintenant le «mobile money» s’attaque à des fonctions traditionnelles de la Banque. Pourtant il n’est question d’indemniser ni les cybers ni la Poste ni les banques.»
Les experts conviennent pourtant qu’il y a un vrai problème : ces OTT qui sont détenues par de puissantes firmes multinationales comme Facebook, propriétaire de WhatsApp, ou Microsoft, propriétaire de Skype, utilisent gratuitement l’infrastructure mise en place par les opérateurs de télécommunications (Sonatel-Orange, Tigo et Expresso) alors que celles-ci sont soumises à de sévères contraintes vis-à-vis de l’ARTP qui les oblige à d’énormes frais de mise à niveau réguliers et de maintenance de leurs infrastructures.
Le think-thank sénégalais spécialisé Social Link indique ainsi que les OTT font perdre désormais 10% des 80 milliards de CFA de recettes annuelles sur les appels internationaux. OVUM, la firme britannique d’analyse et recherche sur les télécommunications, les Tic et les médias, prédit que la perte au niveau mondial représentera 479 milliards de dollars au cours de la période 2012 -2020.
On peut dès lors comprendre que la tension entre OTT et opérateurs de télécommunications n’ira qu’en s’aggravant. D’autant que ces derniers, avec «l’internet des objets» (télévisions connectées, maisons ‘’intelligentes’’, montres, etc.) initient maintenant une nouvelle phase technologique par laquelle ils atteindront encore davantage de clients et génèreront de plus en plus de trafic.
En outre l’Afrique apparaissant (avec l’Inde) comme la dernière frontière de l’Internet, les OTT et leurs parrains (Google, Facebook, Amazone, Apple notamment) s’y investiront de plus en plus.
Que faire alors ? D’abord il faut que les opérateurs de télécommunications fassent leur deuil du téléphone fixe comme source de revenus. En Europe, aux États Unis et dans plusieurs parties du monde le téléphone fixe est désormais quasiment gratuit. Pourtant les opérateurs continuent de faire des bénéfices. C’est qu’Ils mettent maintenant de plus en plus en œuvre un nouveau modèle économique soit en développant leurs propres activités OTT soit en s’associant à des OTT établies.
L’association opérateurs et OTT se fait déjà partout, en Europe, en Amérique du Sud, aux USA et en Asie. L’opérateur mobile allemand E-Plus est associé à WhatsApp en Allemagne. Le hongkongais Hutchinson 3G est associé au fournisseur de musique Spotify en Autriche.
En fait ici même, s’ils ne s’associent pas aux OTT encore, les opérateurs de télécommunications développent déjà des activités OTT. Orange/Sonatel fait du «Mobile Banking» avec Orange Money tout comme Tigo avec «Tigo Cash». Orange commence à développer un projet de «vidéo à la demande».
Ils pourraient concevoir d’autres applications comme un service de musique en ligne de type ITunes spécialisée sur la musique africaine par exemple.
Les experts sénégalais conviennent en outre qu’il faut aussi que l’ARTP mette en place une régulation spécifique. Il s’agirait surtout d’encadrer les rapports entre les opérateurs de télécommunications et les OTT en s’assurant que la «neutralité du Net» est respectée de part et d’autre. Ainsi un opérateur ne pourra pas ralentir à dessein le trafic des OTT pour favoriser ses propres services ou celui des OTT auxquels il est associé. De même un OTT ne pourra pas établir de discrimination entre les opérateurs pour l’accès à ses services.
La nouvelle législation devra également traiter à nouveau de «l’opérateur en position dominante» et donner au régulateur les moyens de le contrôler dans le contexte nouveau. Les experts indiquent en outre que «la concurrence contrôlée» ou «collaboration régulée» qu’ils suggèrent devrait, par l’augmentation des recettes générées, fournir des revenus additionnels à l’Etat.
Des taxes directes pourraient également être perçues auprès de chacun des OTT opérant au Sénégal si la position de notre pays était partagée avec d’autres États et présentée dans le cadre de la CEDEAO voire de l’Union africaine (UA).
Quant aux menaces à la sécurité et à la confidentialité des données personnelles ou même à la sécurité nationale que les OTT peuvent faciliter, les experts renvoient à la Déclaration de Dakar de la Conférence des Télécommunications de l’Afrique de l’Ouest (CTOA) du 19 mars 2015. Cette déclaration dit la «non opposition» des membres de la CTOA (les opérateurs de télécommunication) «aux contrôles des communications de nos réseaux, pourvu que ces contrôles s’effectuent dans le respect de l’intégrité, de la sécurité et de la confidentialité de nos réseaux et n’induisent pas de coûts supplémentaires pour les clients».
Alymana Bathily,
Éditorialiste de SenePlus
abathily@seneplus.com