DEUXIEME PARTIE : LES PERSPECTIVES DE MISE EN ŒUVRE D’UNE POLITIQUE DE DIVIDENDE NUMERIQUE
Une bonne mise en œuvre d’une politique de dividende numérique au Sénégal commande l’adoption d’une série de mesures (chapitre 1) et la résolution d’un certain nombre de questions capitales (chapitre 2).
Chapitre 1 : L’adoption d’une série de mesures
Elles vont des mesures juridiques (section 1) aux mesures d’accompagnement (section 2).
Section 1 : Les mesures juridiques
Elles devront être d’ordre normatif (paragraphe 1) ou institutionnel (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La réglementation de l’obtention et de la réutilisation du dividende numérique
La définition d’un processus de transition de l’analogique vers le numérique (A), ainsi qu’un schéma d’affectation du dividende numérique (B) s’avèrent nécessaires.
A- La définition d’un processus de passage de l’analogique au numérique : du « switch-over » au « switch-off », le « simulcast »
L’obtention du dividende doit passer par l’adoption de lois et/ou de règlements qui définissent un processus de transition (« switch over ») vers le numérique. Ces textes pourraient prendre le sens d’une fixation des étapes du « switch over » durant lequel l’analogique et le numérique cohabiteraient (« simulcast »). Celui-ci peut prendre des années, le temps de permettre aux producteurs de s’organiser et d’investir progressivement sur le matériel nécessaire à la télévision numérique, aux usagers le temps de s’équiper en récepteurs adéquats pour capter le signal numérique et aux autorités le temps de réfléchir sur le schéma le plus pertinent pour la réutilisation du dividende. Ces textes devraient prendre en considération l’impératif d’assurer la continuité du service public de l’audiovisuel avant de décréter l’extinction totale du signal analogique (« switch off »). Ce mouvement doit être associé à un plan de réaffectation des fréquences libérées.
B- La réaffectation des bandes de fréquences libérées
Après que les fréquences auront été libérées, que se passera-t-il après ? Les textes pourraient dès à présent s’atteler à réfléchir sur cette question en vue de l’optimisation des fréquences qui seront libérées. Cela est une exigence économique et est nécessaire pour que « le développement de technologies innovantes et prometteuses ne soit pas compromis »14. Le dividende permet le développement de plusieurs services et réseaux, tout en facilitant la généralisation de l’internet mobile. Sa réaffectation permettra donc d’avoir plus de chaînes télévisées de qualité et des services de télécommunications de pointe. Au regard de la convoitise des industriels pour ces ressources rares, une bataille sera menée entre eux pour se tailler la part belle. Aussi des textes doivent t’ils intervenir pour définir les priorités de la réaffectation. En outre, la création d’institutions spéciales de gestion du dividende s’impose.
Paragraphe 2 : La mise en place d’institutions de coordination et de consultation dans la gestion du dividende
Ces institutions auraient pour rôle de coordonner le basculement vers le numérique (A) et la réutilisation du dividende (B).
A- Un Comité exécutif de coordination du basculement vers le numérique
Ce Comité aurait pour mission de coordonner et d’orienter les actions en vue de la numérisation de la diffusion hertzienne de la télévision, de l’arrêt complet des émissions analogiques et enfin de la réutilisation des fréquences ainsi libérées. Il se chargerait de doter le Sénégal d’une stratégie nationale de réutilisation du dividende numérique. Il serait une structure d’orientation stratégique, de coordination et de pilotage qui arrêterait à terme un schéma national de basculement vers le numérique. Il pourrait être dirigé par le Premier Ministre ou par une personnalité experte en matière de régulation des télécommunications et de l’audiovisuel. Ce Comité pourrait être soutenu par une structure de consultation.
B- Une commission parlementaire de consultation sur la réutilisation du dividende
Les citoyens ont leur mot à dire sur l’usage du spectre. En effet, l’optimisation de celui-ci vise au premier chef un bon fonctionnement des services publics au profit des usagers. Ceux-ci sont représentés par le parlement élu par eux (Sénat et Assemblée Nationale). Une Commission composée de députés et sénateurs pourrait donc être mise en place pour recevoir les avis des populations, par des consultations publiques et les transmettre au comité de basculement vers le numérique. Cette Commission pourrait se charger de définir les meilleurs usages du dividende possibles et les rapporter au comité exécutif de basculement vers le numérique, pour parfaire le schéma de réutilisation des fréquences libérées. L’ensemble de ces mesures normatives et institutionnelles doit être associé à des mesures d’accompagnement.
Section 2 : Les mesures d’accompagnement
La communication autour du dividende (paragraphe 1) et l’assistance technique et administrative aux opérateurs et usagers (paragraphe 2) seront des éléments incontournables.
Paragraphe 1 : Une vaste campagne de communication autour du dividende numérique
Elle peut passer par une information sur le dividende et les conditions techniques que doivent satisfaire les usagers pour suivre le mouvement vers le numérique (A). A cette fin, la création d’un organe et d’un support d’information peut se révéler nécessaire (B).
A- L’information sur le dividende et les conditions techniques à remplir par les usagers
Le changement de technologie peut ne pas être su de tous les utilisateurs qui doivent être mis au parfum des mesures à prendre afin de suivre le mouvement. C’est pourquoi, l’organisation d’une campagne nationale d’information doit être envisagée. Celle-ci serait de nature à « garantir l’information des consommateurs sur les conséquences de l’extinction de la diffusion analogique des services télévisés et de la modernisation de la diffusion audiovisuelle »15. Elle pourrait se baser sur les différents médias et journaux ainsi que sur des spots publicitaires pour atteindre son but. Néanmoins, la campagne doit se fonder sur un organe et un support d’information créés spécialement à cette fin.
C’est le pendant du glissement de standards passant des normes de l’analogique (PAL et SECAM) aux normes numériques (MPEG et DVB-T). Outre la définition de nouveaux standards, les autorités doivent sensibiliser les opérateurs de l’audiovisuel sur les nouvelles mesures techniques à prendre. Elles peuvent aider ces producteurs par une information ou une formation sur les techniques à mettre en œuvre pour préserver la qualité de réception de la télévision numérique. Enfin elles pourraient les assister pour effectuer tous les changements nécessaires en vue de la continuité du service public audiovisuel et de la bonne utilisation du spectre. L’ensemble de ces mesures ne peut prospérer que si des interrogations capitales préalables auront été résolues.
Chapitre 2 : Les questions capitales et incontournables à résoudre
Ces questions sont relatives à l’efficacité du schéma de réutilisation (section 1) et à la coordination des politiques communautaires de dividende numérique (section 2).
Section 1 : L’efficacité du schéma de réutilisation du dividende numérique
L’efficacité est tributaire d’un bon choix de scénario de réaffectation (paragraphe 1) et de la prise en compte des critères de réaffectation pertinents (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le choix d’un scénario de réaffectation du dividende numérique
Une connaissance des options de réaffectation (A) et la recherche d’équilibre entre les exigences de l’audiovisuel et des télécommunications est fondamentale pour le choix (B).
A- Aperçu sur les principales options de réaffectation
Trois scénarios sont envisageables dans le cadre de la réaffectation des fréquences libérées. La première consiste à réserver tout le dividende à l’audiovisuel. Ce choix résulte de l’évolution annoncée vers la Haute Définition (HD) qui nécessite des capacités en fréquences proches de celles de l’analogique. La seconde revient à octroyer tout le dividende aux services de télécommunications afin de développer de nouveaux réseaux de pointe, accessibles à tous. La troisième, plus juste, tendrait quant à elle, à partager le dividende entre l’audiovisuel et les télécommunications. Celle-là, parce qu’elle recherche un équilibre entre les besoins des deux secteurs serait le scénario adapté.
B- La recherche d’équilibre entre les exigences de l’audiovisuel et celles des télécommunications
L’équilibre entre les deux secteurs est le maître mot de l’efficacité du schéma de réaffectation. Il est crucial de maintenir le niveau de chaînes de télévision actuel et de prévoir l’arrivée de nouvelles. De même, il faut intégrer la dimension qualitative des images à laquelle tiennent de plus en plus les téléspectateurs. Les usagers manifestent de plus en plus d’appétence pour la Haute Définition (HD) qui nécessite beaucoup de bandes de fréquences. Du côté des télécommunications également le développement du haut débit en milieu rural ou en mobilité ainsi que des réseaux 3G ou 4G requièrent des fréquences supplémentaires. Un équilibre doit être trouvé et pour ce faire, la prise en compte d’un certain nombre de critères s’impose.
Paragraphe 2 : Les critères à prendre en compte par le schéma de réaffectation
On peut s’attarder sur trois critères à savoir l’aménagement numérique du territoire et la croissance économique (A) ainsi que le bien-être social (B).
A- L’aménagement numérique du territoire et la croissance économique
Les services de communications mobiles et de haut débit sont encore principalement utilisés par les catégories supérieures, urbaines et jeunes de la population. Ce fait justifie le besoin de combler cette fracture numérique entre les citoyens d’autant que les usages des internautes dans le cadre d’une recherche d’emploi, de la formation, de l’information, etc. restent moindres en zones rurales et en zones peu peuplées. De plus, il faut assurer la continuité des services numériques audiovisuels sur tout le territoire et le développement d’une offre de contenus diversifiée. Aussi, l’affectation du dividende numérique ne doit pas aboutir à une confrontation entre acteurs de l’Audiovisuel et des Télécommunications. L’attribution du dividende doit bénéficier aux uns et aux autres de manière équitable pour le bien de la société.
B- Le bien-être social
L’attente des citoyens et des consommateurs en matière audiovisuel et de télécommunications peut être comblée par une bonne utilisation du dividende. Par exemple, les services mobiles «améliorés » et les chaînes de télévision numériques gratuites supplémentaires en définition standard (SD) sur l’ensemble du territoire peuvent être promus. Cela permettrait d’intégrer davantage la société sénégalaise dans la société de l’information. Toutefois, pour plus d’efficacité, les politiques de dividende doivent être coordonnées au niveau supranational.
Section 2 : La coordination des politiques supranationales de dividende numérique
Des impératifs supranationaux (paragraphe 1) et la coordination des fréquences aux frontières (paragraphe 2) rendent incontournable la coordination des politiques nationales de dividende.
Paragraphe 1 : La nécessité de la coordination au regard des impératifs supranationaux
Eu égard à l’harmonisation des politiques nationales des fréquences (A) et aux engagements internationaux (B), la coordination des politiques de dividende numérique s’impose.
A- La coordination eu égard à l’harmonisation des politiques nationales des fréquences au niveau de la CEDEAO
Les Etats de la CEDEAO ont notés que la forte croissance des opérateurs et fournisseurs des TIC est susceptible de conduire à un déficit réel de ressources en spectre de fréquences radioélectriques. Aussi ont-ils entendu depuis 2007 élaborer une réglementation sous régionale relative à la gestion optimale du spectre. Les Etats sont également conscients que l’instauration et le fonctionnement d’un marché intérieur dans le domaine de la politique des TIC reposent sur une coordination des politiques nationales et, le cas échéant, sur l’harmonisation des conditions relatives à la disponibilité et à l’utilisation du spectre. C’est ainsi qu’ils ont adopté un cadre commun de gestion du spectre. Par conséquent, toutes les politiques nationales de dividende numérique dans la CEDEAO doivent être coordonnées.
B- La coordination dictée par les engagements internationaux
Dans le cadre de l’UIT – structure dans laquelle fait partie le Sénégal – les politiques nationales des fréquences ont toujours été coordonnées pour plus d’efficacité et d’efficience de la gestion du spectre, ainsi que pour éviter les interférences. Dans ce cadre, l’accord de Genève GE06 et la CMR-07 ont imposé aux Etats de la « Région 1 » c’est-à-dire ceux de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen Orient d’affecter les 72 MHz comprises entre les 792-860 MHz de la bande UHF à l’usage de services de télécommunications mobiles d’ici 2015. Ces Etats ont donc l’obligation de mener des politiques de dividende numérique convergentes. Cette démarche doit être complétée par une coordination des fréquences aux frontières.
Paragraphe 2 : La coordination spécifique des fréquences aux frontières
La définition de normes est impérative pour éviter les interférences des fréquences (A) et la coordination est nécessaire pour garder un climat socioéconomique frontalier apaisé (B).
A- La définition de normes pour éviter les interférences fréquentielles frontalières
Le degré d’optimisation effective du dividende est tributaire des négociations internationales bilatérales qui doivent être menées avec les pays voisins concernant l’utilisation des fréquences aux frontières. Ces négociations sont d’ores et déjà nécessaires. En effet, les zones frontalières posent des problèmes particuliers en matière d’utilisation des fréquences. La portée des ondes au delà des frontières et ce, naturellement dans les deux sens, oblige en effet à une coordination entre pays voisins afin d’éviter des brouillages entre les différents programmes diffusés de part et d’autre des frontières. Il doit en résulter un partage de l’usage des fréquences et celui-ci doit aboutir, en pratique, à une diminution sensible du volume de fréquences utilisables dans les zones frontalières par chacun des pays. Toutefois, cette coordination est nécessaire pour la sauvegarde d’un climat frontalier pacifique.