Quelle politique TIC pour le Sénégal ?
Ces années 80 ont caractérisé la seconde période qui est marquée par l’avènement de la micro informatique qui fut en soi une révolution qui imprima à l’informatique une nouvelle trajectoire.
Au Sénégal cette période a été marquée par l’élaboration, dés 1979, d’un schéma directeur informatique dont le principal objectif était d’introduire cette nouvelle science dans les secteurs essentiels de l’administration publique. On peut aussi noter la création d’une filière de formation de DUT informatique à l’IUT de Dakar (qui fut d’abord ENSUT et actuel ESP), celle de l’Ecole Supérieure Multinationale des Télécommunications en 81 et de la Délégation à l’informatique (DINFO) devenue en 2004 Direction de l’Informatique de l’Etat (DIE) puis Agence de l’Informatique de l’Etat (ADIE).
C’est ainsi qu’apparaissaient les premiers balbutiements de l’informatique au Ministère des finances et dans les grandes entreprises nationales. Il fut alors créé le Comité National informatique (CNI) qui diligenta une étude pour la réalisation d’un réseau de transmission par paquet dénommé SENPAC qui marque la première étape dans la construction d’une infrastructure nationale de télécommunications prenant en compte la transmission de données et ouvrant le Sénégal vers l’extérieur. C’est dans le même registre qu’il faut verser la création du Réseau National d’Information Scientifique et Technique (RNIST) au milieu des années 80.
Enfin, dans les années 90, naquit Internet avec ses nouvelles technologies et ses nouveaux outils qui ont fini de complètement changer les habitudes et comportements, remis en cause les paradigmes, rendus caduques les frontières et contraint les économistes, juristes et autres spécialistes des relations internationales à revoir leur copie régissant le commerce inter-états, les échanges entre pays, etc. Les changements induits par ce mouvement permanent de l’innovation technologique ont fait appel à une remise à niveau permanente des connaissances et facilité depuis 1990 environ les échanges scientifiques, économiques, financiers, culturels, nationaux et internationaux.
Ces révolutions marquèrent des périodes de profonds bouleversements dans les méthodes de travail, les outils utilisés et naturellement furent à l’origine de nouvelles approches méthodologiques mais également de l’immiscion de l’informatique au cœur des métiers. Ainsi les technologies de l’information et de la communication (TIC) apparaissent comme une source d’innovation, d’optimisation des ressources, d’amélioration de l’efficacité et du rendement du travailleur, de croissance économique et d’emploi.
De nouvelles approches politiques par et pour les TICs sont de plus en plus intégrées dans les stratégies socio-économiques sectorielles et nationales. A ce titre le secteur de l’Education, principal vecteur du savoir et des connaissances, a tenté timidement de jouer le rôle de pionnier en s’adaptant le premier à cette nouvelle donne et impulser les changements dans les autres secteurs (voir mon article TIC dans l’Education dans www.majalis.org/blogs/morfattah).
Le Sénégal s’est-il pour autant doté d’une politique TIC?
Le Petit Robert définit la politique comme un «ensemble de principes généraux indiquant la ligne de conduite adoptée par une organisation privée ou publique, dans un secteur donné, et qui guident l’action ou la réflexion dans la gestion de ses activités». Cette large définition de la politique englobe la vision globale, les objectifs visés, les résultats attendus, les principes et les plans opérationnels qui orientent les activités des différents acteurs. Si l’on se réfère à cette définition, nous pouvons affirmer, sans risque de nous tromper que notre pays ne dispose point d’une politique nationale TIC.
Nos autorités dites de l’alternance, après s’être proclamées chantres des nouvelles technologies au point de se voir confiée la coordination du volet TIC du NEPAD dés leur accession au pouvoir, ont certes tenté, après cinq années d’errements et de tâtonnements, de s’inscrire dans cette logique en établissant une lettre de politique sectorielle des Télécommunication/TIC couvrant la période 2005-2008 dont la mise en œuvre a donné quelques résultats jugés satisfaisants, quoique très mitigés. La seconde du genre qui concernait la période 2009-2012 est en toujours en cours et n’a donc pas encore été évaluée. Mais toutes les deux ont essentiellement porté sur le programme de réformes que le gouvernement entendait mettre en œuvre dans le secteur en application des directives de l’ancien chef de l’Etat qui présidait le volet TIC du NEPAD. Les principaux objectifs les plus en vue de ces lettres sont :
-
la réalisation du service universel pour réduire la fracture numérique conformément aux engagements pris lors du sommet « Connecter l’Afrique » tenue à Kigali en 2007 ;
-
l’adaptation du cadre législatif et réglementaire pour se conformer à l’évolution technologique rapide et promouvoir le partenariat public privé ; tout en restant en phase avec les directives communautaires (UEMOA-CEDEAO) ;
-
le développement d’infrastructures de réseau d’accès haut débit devant supporter la mise en œuvre d’applications innovantes et sécurisées;
-
l’amélioration de l’appui des TIC aux secteurs de l’éducation, de la santé, de l’agriculture, de l’élevage, de la culture, de la recherche, de l’innovation, de la formation, de la protection de l’environnement, de la lutte contre l’émigration clandestine, de l’état civil, du foncier et du commerce, etc.
Quelle restrictive vision !
Au vu des véritables atouts dont nous disposons et qui, bien exploités, nous permettraient, sans nul doute, de définitivement nous hisser au rang des pays émergeants, il est assez réducteur de consigner notre politique nationale TIC à ces simples lettres de politique sectorielle qui traduisent une volonté de les utiliser comme outil d’appoint pour l’amélioration des conditions de travail et non comme un véritable lévrier de développement.
Restreindre ainsi l’ambition de notre pays à ces quelques objectifs, quand bien même louables, c’est manquer d’ambition ou méconnaitre l’énorme potentiel dont nous disposons et qui nous est conféré par notre situation géographique, la qualité de nos ressources humaines, notre offre de formation portée par une multitude d’universités publiques et privées et de nombreuses écoles supérieures qui sont souvent l’émanation de grandes institutions académiques du nord, notre excellente infrastructure de télécommunication etc. Ces quelques chiffres assez éloquents suffisent pour convaincre les plus sceptiques: Bande passante : 5,9 Gbps, 485 liaisons louées, 232 726 abonnés 3G, 93 622 abonnés ADSL, 64 538 abonnés bas débit, 390 886 abonnés Internet, 1 989 396 utilisateurs d’Internet, taux de pénétration : 15,7% de la population (source : ARTP, 31 mars 2012, IUT décembre 2011).
Les enjeux sont manifestement mal saisis et s’en tenir uniquement à cette vision serait assimilable à la stupidité de quelqu’un qui choisirait de faire des clous avec de l’or.
En effet au-delà de la nécessité de systématiquement introduire les TICs dans toutes les politiques sectorielles (Education, Santé, Développement rural, élevage, etc.) et de les intégrer comme outil transversal de développement économique et social dans une stratégie nationale cohérente d’utilisation, il urge de travailler sur l’émergence d’une véritable industrie des TIC capable de nous valoir des satisfactions inespérées sur le plan économique à l’image de l’Inde et de l’Ile Maurice. Elle devra être bâtie autour de la création de parcs technologiques, d’usines de fabrication et d’assemblage de composants électroniques, d’unités de montage d’ordinateurs et d’équipements de télécommunication, de structures de développement d’applications mobiles à forte valeur ajoutée, de structures d’intégration de solutions de haute technologie, de sociéts de téléservices (centres d’appels, télémarketing, télé saisie, etc.), de sociétés de consulting filiales des multinationales leaders mondiaux, de centres de formation certifiante sur les technologies et les standards internationaux en matière de développement d’applications, d’audit de système d’information, d’audit sécurité, de gestion de projet, etc.
Au moment où les multinationales européennes et américaines, dans leur recherche effrénée de compétitivité par la diminution de leurs coûts de production, procèdent à une délocalisation de leurs usines jusqu’en Asie (pour l’essentiel) malgré des décalages horaires de 9 à 12h conjuguées à des durées de vols d’autant d’heures, notre position géographique (5 à 6 heures de vols de ces deux grands continents), important argument dont la nature nous a gratifiés, reste jusque là inexploitée.
Les enjeux se trouvent dans la consolidation de nos avantages par le biais du développement de notre infrastructure de télécommunications, la création d’un environnement juridico-fiscal incitatif (avantage des entreprises offshores, statuts d’entreprises franches d’exportations, etc.) l’adaptation de nos curricula de formation à cette nouvelle demande (multitude d’universités et d’écoles privées de formation supérieure en Informatique et Télécommunication).
Aujourd’hui où tous les métiers, les technologies et les industries convergent autour de l’internet et des TIC, tout gouvernement qui élabore des politiques et légifère sur des réglementations se doit d’en tenir compte et d’adapter ses politiques en conséquence ; d’où l’impérieuse nécessité de redéfinir adéquatement toutes nos politiques sectorielles dans le cadre de larges concertations des acteurs publics, privés, universitaires, etc. en vue d’exploiter de manière optimale nos opportunités en la matière et ainsi, comme le disait O. Sagna, de « libérer les énergies créatrices qui permettront au Sénégal de bâtir une société de l’information inclusive, solidaire, ouverte, prospère, en adéquation avec les valeurs et les besoins de ses citoyens tout en s’inscrivant dans la perspective de l’intégration africaine ».
Mor Ndiaye Mbaye
Consultant en SI et Base de données
Email : morfattah@gmail.com
Skype : morfattah
Source: leral.net