Les bonnes idées viennent souvent de loin. L’entreprise allafrica.com n’échappe pas à la règle. Né en 2 000, le plus grand diffuseur d’informations africaines à travers le monde plonge ses racines loin dans l’histoire et la généalogie de son initiateur, Amadou Mahtar Ba.
Pour comprendre allafrica.com, il faut remonter aux années 1970. A cette époque, au Sénégal, le jeune Mahtar suit à distance les «aventures» de son oncle dont il porte le prénom et qui dirige l’Unesco. Au poste de directeur général de l’organe de l’ONU pour l’éducation, la science et la culture, Amadou Mahtar M’Bow mène le combat pour un Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic).
Faire entendre la voix de l’Afrique
L’enjeu est simple: les pays du Sud (on dit encore du «tiers monde») qui viennent de se libérer de la colonisation n’entendent pas se faire submerger par les médias occidentaux et subir une nouvelle forme de colonisation douce (que l’on appelle pas encore «soft power»). L’oncle du jeune Mahtar est à la pointe de ce combat diplomatique épique qui conduira les États-Unis à quitter l’Unesco en 1985.
Un quart de siècle plus tard, le chef d’entreprise Amadou Mahtar Ba poursuit le même objectif que son oncle: faire entendre au monde la voix de l’Afrique mais les moyens qu’il emploie sont très différents. Quand son oncle misait sur la diplomatie, il croit en l’entreprise; quand son aïeul s’opposait aux États-Unis, il décide de s’implanter à Washington; quand son parent voyait les menaces de la télévision, il considère les avantages de l’internet.
Barack Obama choisit allafrica.com avant sa première visite officielle en Afrique
Son constat est simple: le Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication, ce ne sont pas les diplomates mais les créateurs du web qui l’ont mis sur les rails. Et quand Barack Obama doit choisir un média pour s’adresser à l’Afrique avant sa première visite officielle en Afrique, c’est sur allafrica.com qu’il choisit de se faire interviewer.
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Après des études de communication en France (qui lui ont fait croiser la route de Brice Hortefeux alors enseignant), Amadou Mahtar Ba part s’installer aux États-Unis où il crée avec deux partenaires américains la société AllAfrica Global Media. Les trois fondateurs détiennent encore aujourd’hui les trois quarts du capital. Le financier George Soros et un banquier nigérian ont également investi dans l’entreprise qui se fixe comme objectif de distribuer à travers le monde les informations produites par les médias africains.
Partage de revenus entre les médias africains et le diffuseur
Dès les premiers mois, Amadou Mahtar Ba prend son bâton de pèlerin et sillonne le continent noir pour signer des accords avec les plus grands journaux dans chaque pays à une époque où ils sont peu nombreux en Afrique à disposer d’un site web.
Le contrat qu’il propose est simple: les journaux autorisent allafrica.com à reprendre leur contenu et ils perçoivent en contrepartie la moitié des recettes publicitaires (hors frais de gestion) ainsi qu’une portion des revenus générés par les services que commercialise allafrica.com à partir de ces contenus (fils d’informations spécialisés sur l’économie et les matières premières par exemple). Parmi les clients: Bloomberg, Dow Jones, LexisNexis, le Financial Times, l’ONU, la Banque mondiale ou encore l’Union africaine.
Agrégateur d’information bien avant Google news
Allafrica.com est un agrégateur d’information avant l’heure, dès l’an 2000, à un moment où Google news n’est pas encore dans les cartons (la première version verra le jour en mars 2002). Aujourd’hui, les informations proposées sur allafrica.com proviennent de 138 médias différents. Elles sont en anglais et en français, même si le potentiel commercial du français reste limité. Dans le chiffre d’affaires, l’anglais compte pour 92% des recettes contre 8% pour le français. Pourtant sur les 1 200 articles repris chaque jour sur le site 25% sont en langue française.
En véritable entreprise de l’ère internet, allafrica.com mise beaucoup sur la technologie. L’entreprise compte aujourd’hui 19 salariés mais seulement 7 journalistes en charge de la sélection des articles venus d’Afrique qui sont publiés sur le site . Les autres salariés sont principalement en charge des développements technologique (6 personnes) et commerciaux (6 personnes).
La technologie développée pour le site se vend bien
Derrière sa simplicité apparente, le site abrite en fait une redoutable machine de guerre qui a découvert son potentiel technologique «par accident». Allafrica.com a développé un système et des algorithmes qui permettent de tracer le parcours de chaque visiteur afin de déterminer le montant des chèques que l’entreprise doit adresser chaque trimestre aux médias africains avec lesquels elle a signé des contrats. Les chèques peuvent s’élever à 15 000 dollars pour les médias anglophones les plus réputés comme The Nation (Kenya) à 1 200 dollars par trimestre pour un journal francophone comme Le Soleil (Sénégal).
Cette technologie sophistiquée, l’entreprise la commercialise, et c’est même cette part de l’activité qui a permis à la jeune start-up de passer la période difficile 2002-2005 en vendant son savoir-faire au Democratic National Commitee, la structure du Parti démocrate américain en charge de la collecte des dons et du marketing politique.
La publicité génère 42% des recettes
En 2009, un quart des revenus de l’entreprise proviennent toujours de la vente de sa technologie. La publicité sur le site représente 42% des recettes (il s’agit de Google Ads proposées au plus de 2 millions de visiteurs uniques mensuels). La revente de contenus génère 25% des revenus. Enfin, l’organisation de conférences et de forums produit 8% du chiffre d’affaires qui s’élève à un total de 3,2 millions de dollars (et un bénéfice net après impôts de 650 000 dollars).
En bonne entreprise de l’ère internet, allafrica.com ignore les frontières. Les bureaux sont à Washington et les équipes disséminées à travers le continent (Le Cap, Dakar, Monrovia, Île Maurice, Lagos et Nairobi). Amadou Mahtar Ba lui même travaille entre Washington et Nairobi où travaille sa femme (une diplomate américaine).
« Pas de séparation rigide entre commercial et éditorial »
L’entreprise ignore également les frontières entre les activités: « tout le monde fait de tout, y compris du commercial », explique Amadou Mahtar Ba, « il n’y a pas cette séparation rigide entre l’édition et le commercial, mais comme on écrit peu, ça a peu d’impact en fait ».
La part commerciale consiste à proposer les services d’allafrica.com à des clients comme les médias ou les grandes institutions internationales mais également à solliciter des mécènes. Pour cela, une fondation a été créée. La Fondation allafrica a notamment conclu un contrat de 3,5 millions de dollars avec la Fondation Bill & Melinda Gates pour développer des sites d’information sur la santé et le développement en Afrique. D’autres sites du même genre existent sur les enjeux environnementaux et les questions de paix et sécurité avec des financements de la Fondation Ford, de la Fondation Rockfeller ou de la Carnegie corporation of New York. La Fondation allafrica sous-traite ensuite à l’entreprise allafrica.com la réalisation technique de ces projets. Une situation parfaitement légale aux Etats-Unis.
« On a moins de problèmes avec les États qu’avec les banques »
Sur les questions éthiques, allafrica.com est très sensible aux priorités des organisations internationales qui sont ses clients. Les articles des médias partenaires qui pourraient relever du sexisme, de l’incitation à la haine raciale ou religieuse, ne sont tout simplement pas diffusés sur allafrica.com. Il n’existe pas de charte à proprement parler mais les éditeurs partagent leurs interrogations sur un wiki qui garde en mémoire la manière dont ont été gérées les questions épineuses au fil des années.
A en croire Amadou Mahtar Ba, ce n’est pas dans le domaine des grands principes que se posent les problèmes les plus sérieux. Plutôt dans le domaine économique. « Il m’arrive régulièrement de recevoir des coups de fil en provenance d’institutions bancaires dont l’action est mise en cause dans les articles que nous reprenons », raconte le PDG d’allafrica.com. « J’essaye de leur expliquer gentiment que je ne suis pas impliqué dans la rédaction et que nous ne faisons que refléter ce que disent les médias locaux », précise-t-il avant de conclure: « finalement on a beaucoup moins de problèmes avec les Etats qu’avec les banques ». C’est sans doute cela aussi qui a changé depuis l’époque des batailles à l’Unesco de l’oncle Amadou Mahtar M’Bow.