Antoine Ngom, président de la Stratégie Sénégal numérique : « Parvenir à 10% de contribution des Tic dans le PIB »
Président de l’Organisation des professionnels des Tic (OPTIC) du Sénégal, Antoine Ngom est un homme du sérail. Il est fréquemment invité dans les plus grands événements du continent consacrés aux Technologies de l’information et de la communication (TIC). Antoine Ngom décrypte, dans cet entretien, la portée de la Stratégie Sénégal Numérique 2025. Laquelle se fixe comme objectif de passer la contribution du secteur des Tic à hauteur de 10 % dans le Pib à l’horizon de 2025.
La Stratégie Sénégal Numérique 2025 (SN2025) vient d’être adoptée par le Gouvernement du Sénégal. Qu’est-ce qu’elle représente en termes de retombées sur le plan économique ?
A l’issue d’un processus inclusif et participatif qui a fait intervenir l’ensemble des parties prenantes du secteur des Tic, il a été élaboré un document de stratégie nationale. Il s’agit d’une avancée significative car cela fait très longtemps que notre pays ne dispose pas de stratégie de développement du digital au Sénégal.
Pour nous, cette stratégie est très importante à plusieurs titres. D’abord pour l’ambition qu’on s’est fixée, de passer à 10% du Pib à l’horizon de 2025. Il y a également la création de 35.000 emplois dans le domaine du numérique. Ce programme va contribuer à créer une augmentation du Pib de 300 milliards de FCfa au niveau des autres secteurs. L’ensemble des investissements, qui vont être mis en place pour pouvoir réaliser cette stratégie qui s’élève à 1.300 milliards, seront financés, dans la plus grande partie, par le secteur privé.
Quels sont les axes qui composent la Stratégie Sénégal Numérique 2025 ?
Le plus important reste certainement l’accès au haut débit ouvert et abordable pour l’ensemble des Sénégalais. L’accès au très haut débit partout à travers le Sénégal est une condition sine qua non pour réussir les défis que nous nous sommes fixés dans le cadre de cette stratégie.
Il y a également un volet important qui est l’administration numérique. L’objectif est de rendre plus efficace et plus performante notre administration, en automatisant l’ensemble des procédures au profit du citoyen. Sur ce volet, nous rappelons la nécessité de s’appuyer sur l’expertise locale qui peut accompagner la modernisation du secteur public. C’est ce qui se passe dans plusieurs pays, notamment en Côte d’Ivoire où l’agence en charge de l’Informatisation de l’administration (Sndi) a signé une convention avec le Gotic (Organisation des entreprises TIC) pour la prise en charge de ses projets.
Un autre axe important, la promotion de l’industrie numérique, est également prévu dans le cadre de ce programme. Un certain nombre d’actions sont prévues pour accompagner le secteur privé. Les deux actions majeures qui retiennent notre attention sont : 50 % des marchés publics Tic seront dédiés aux entreprises locales ou de la sous-région ; un financement au minimum de 1 milliard de FCfa par an pour la promotion du secteur et l’entreprenariat numérique.
Quel sera l’apport du secteur privé des Technologies et de l’information et de la communication (TIC) dans cet ambitieux projet du numérique ?
Dans les 1.300 milliards de FCfa qui sont prévus pour financer la Stratégie nationale, plus de 70% seront pris en charge par le secteur privé. Je pense qu’il s’agit déjà d’une contribution importante. Nous allons être les acteurs et les contributeurs principaux de ce programme. Les entreprises du secteur des Tic seront donc les principaux acteurs de la dissémination du numérique dans les secteurs économiques prioritaires. Notre secteur pourra jouer son rôle de catalyseur de l’économie et permettre aux autres secteurs d’être plus compétitifs et ainsi créer plus de valeur. Il faut également noter la forte création d’emplois qui en découlera.
Aujourd’hui, quels sont les préalables sur lesquels il faut travailler pour rendre rapidement très efficace cette Stratégie Sénégal Numérique 2025 ?
L’environnement juridique et réglementaire constitue la priorité sur laquelle il faut travailler. Le dernier Code des télécommunications de 2011 n’a pu réellement être appliqué parce que les décrets d’application qui devaient le compléter n’ont pas été adoptés à temps.
Etant donné que c’est un secteur qui évolue très vite, il y a lieu de procéder à un toilettage de tous les aspects juridiques et réglementaires, y compris les aspects institutionnels qu’il faut revoir également.
Nous nous réjouissons de la procédure de sélection d’un cabinet, engagé par le ministère des Postes et Télécommunications, pour la revue des textes du secteur. Cela permettra de prendre en charge les thématiques d’actualité occultées par l’ancien code. Des thématiques telles que le Big data, l’Internet des objets (Iot), la neutralité du net et la souveraineté numérique sont des notions à prendre en charge dans les textes du secteur.
De plus, nous devons passer à un « Code du Numérique » en lieu et place du code des télécommunications classique. La notion de télécommunications est obsolète et ne permet pas d’intégrer tous les aspects à prendre en charge par les textes qui guideront le secteur du numérique.
A cela s’ajoute le capital humain. Le numérique étant l’industrie du savoir par excellence, les ressources humaines constituent le facteur le plus important sur lequel il faut s’appuyer pour développer le secteur. Il y a un accent particulier qui va être mis, à la fois, sur la formation professionnelle (y compris la formation continue) et le renforcement de capacités, mais également sur l’adéquation entre les curricula de formation et les besoins des entreprises.
Qu’en est-il de l’appel à candidatures pour les licences FAI (Fournisseur d’accès à Internet) ?
Le Code des télécommunications de 2011 prévoyait l’arrivée de nouveaux FAI sous le régime de la licence. Ce qui rend difficile et complexe l’accès des Pme du secteur privé national à ce sous-secteur du numérique.
Dans le cadre de cette nouvelle stratégie, le point concernant les licences FAI fait partie des réformes prioritaires à prendre en charge rapidement pour permettre une démocratisation de l’accès à l’Internet, mais également une diversification et une plus grande concurrence dans le secteur des FAI. A l’époque, il y avait jusqu’à 15 Fournisseurs d’accès à Internet, mais ils ont tous disparu aujourd’hui. En dehors des opérateurs, il n’y a qu’Arc Informatique qui exerce l’activité de fournisseur d’accès Internet et qui offre une alternative par rapport aux opérateurs.
Dans la Stratégie Sénégal Numérique 2025, il est prévu qu’on assouplisse les conditions d’exercice des FAI en passant d’un régime de licence à un régime d’autorisation qui est beaucoup plus facile d’accès et plus simple pour les entreprises nationales.
Le ministère en charge du Numérique a convié toutes les parties prenantes du secteur à des discussions pour revoir le régime d’attribution des FAI. Nous avons tous discuté avec les autorités et les acteurs pour finalement revoir un certain nombre de textes qui seront mis en œuvre dans les plus brefs délais. Parmi ces textes figurait celui relatif au régime des FAI.
Ces textes, qui consacrent la notion d’autorisation pour le régime des FAI, ont d’ailleurs été adoptés lors du Conseil des ministres du mercredi 30 novembre 2016.
Mais, dernièrement, on a constaté que le régulateur a lancé un appel à candidature pour l’attribution de licence de fournisseurs d’accès à Internet.
Nous avons été très surpris et avons transmis par courrier au régulateur nos réserves sur cette procédure.
Dans ce secteur, il y a toujours eu une tradition de concertation. C’est ce qui a d’ailleurs prévalu sur le sujet précis des Fai, en décidant d’aller rapidement vers le régime d’autorisation. Donc, nous ne comprenons pas cette démarche unilatérale du régulateur pour cet appel à candidature.
Nous avons saisi, en plus de l’ARTP, le ministère de tutelle, la Primature, le ministère de l’Economie et des Finances pour sursoir à cette procédure d’appel à candidature.
Les nouveaux textes qui ont été adoptés rendent cet appel à candidature caduque, mais nous attendons que la procédure soit annulée de manière officielle.
Le régime d’autorisation permettra de démocratiser l’accès à Internet au Sénégal ; il faudra veiller à ce qu’au moins, un des acteurs qui sera choisi soit un acteur national.
Y a-t-il d’autres options prioritaires de cette Stratégie nationale qu’il faudrait véritablement prendre en compte ?
A côté des FAI, je pense que la mutualisation des infrastructures est également très importante. Il s’agit de mutualiser l’ensemble des infrastructures existantes (opérateurs, Adie, Senelec, etc.) pour permettre une meilleure cohérence dans les futurs investissements. En clair, avec la mutualisation des infrastructures, les structures qui veulent investir dans le réseau ne pourront pas investir dans les zones déjà couvertes. Cela permet un meilleur maillage du territoire.
C’est également une occasion d’accroître la concurrence en ce qui concerne la fourniture d’accès à Internet.
Il y a la notion d’opérateurs d’infrastructures qu’il faut également prendre en charge. L’opérateur d’infrastructures est un acteur qui loue des capacités chez un opérateur qui détient une infrastructure pour fournir des services.
Par exemple, l’Agence de l’informatique de l’Etat (ADIE) va bientôt disposer de 4.500 kilomètres de fibre optique, ce qui fait de l’agence un opérateur. Je pense qu’il y a une réflexion à mener pour confier cet important réseau à un opérateur d’infrastructures dans un schéma qui sera au bénéfice de toutes les parties prenantes.
Nous nous réjouissons que ces deux aspects (Mutualisation et Opérateur d’infrastructures) aient fait l’objet de décrets prioritaires adoptés le 30 novembre 2016.
Dans les priorités, il faut également citer le cadre institutionnel.
Nous sommes dans une situation, aujourd’hui, où nous avons un ministère qui n’a pas les moyens des ambitions du Sénégal en matière du numérique. On ne peut pas se donner certaines ambitions si au niveau institutionnel, l’on se retrouve avec un ministère qui est faible.
Il est important de revoir l’architecture institutionnelle du secteur en renforçant le ministère en charge du numérique. La Stratégie SN2025 prévoit le renforcement du ministère où seront affiliées toutes les structures publiques liées au numérique. Nous accueillons cette mesure avec beaucoup d’enthousiasme car cela permettra certainement de rationaliser l’action du Gouvernement en matière de numérique.
Il est également prévu la mise en place du Conseil national du numérique qui est un préalable à la mise en œuvre cohérente de la Stratégie SN2025. C’est ce qui permettra d’embarquer tout le reste. Le président de la République a annoncé la mise en place de ce Conseil depuis plus d’un an, mais rien ne s’est passé depuis lors. Nous avons bon espoir qu’avec l’adoption officielle de la Stratégie SN2025, ce Conseil sera mis en place dans les meilleurs délais.
Le secteur privé, à l’instar de toutes les autres parties prenantes, est mobilisé pour la réussite de la mise en œuvre de cette importante stratégie dont la réalisation permettra de faire du Sénégal un pays phare en matière de digital en Afrique.
Quelle place va occuper la culture dans cette stratégie nationale ?
La culture fait partie des secteurs d’activité où il est prévu un certain nombre d’actions. Passée l’étape du « Très haut débit pour tous », nous devrons réussir le défi du contenu, surtout local. Le numérique est un formidable instrument pour la diffusion du contenu culturel sénégalais. L’industrie culturelle devient dès lors le secteur qui peut le plus profiter du développement du digital au Sénégal.
Source : Le Soleil