Banques et Télécoms : Un mariage forcé
Les banques n’ont pas beaucoup d’alternatives face à la puissance des infrastructures et de la surface financière des opérateurs télécoms. Des mariages forcés (parfois douloureux) se profilent à l’horizon.
L’obtention récente (septembre 2016) d’une série d’agréments d’ «établissement de monnaie électronique» en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Mali et en Guinée fait de Orange une banque à part entière.
« Orange en sa qualité d’EME est désormais « garant de l’émission, de la gestion et de la distribution de la monnaie électronique. Orange Money met en place la politique de conformité en lieu et place de la banque partenaire, qui exerçait auparavant cette activité pour Orange, et instruit auprès de la Banque Centrale les demandes de lancement de nouvelles fonctionnalités et le suivi de l’activité »,explique la direction.
Les objectifs recherchés à travers ces agréments sont clairs comme l’explique Bruno Mettling, directeur général adjoint du groupe Orange et PDG d’Orange MEA : « l’obtention de ce statut d’EME nous permet de développer encore un peu plus l’activité d’Orange Money, activité au cœur de notre ambition d’être le partenaire stratégique de la transformation numérique de la zone Afrique et Moyen Orient, avec l’objectif de générer plus de 200 millions d’euros d’ici à 2018. Aujourd’hui, la base de clients Orange Money représente 5% des clients de ce marché dans le monde. L’accélération est déjà en cours avec l’ouverture notamment de nouveaux corridors pour étendre nos services de transferts d’argent à l’international ».
Le groupe qui avait mis en place Orange Money en partenariat avec le réseau de la BNP Paribas opérera désormais en direct, privant les filiales ouest-africaines de la banque française d’une importante manne financière.
La tendance est quasi-globale puisqu’en Afrique de l’Est, les prises de contrôle des banques par les opérateurs télécoms font légion. « Il est plus évident pour un opérateur télécoms d’aller vers la banque que l’inverse », explique Abdoulaye Compaoré, directeur de Coris Capital, qui rappelle que l’infrastructure coûte cher. Néanmoins, les banques ont avec elle le savoir-faire et un service qui échappe encore aux opérateurs télécoms : la gestion du risque. «Tant qu’il s’agit de faire du transfert d’argent, de mobile à mobile, les spécialistes du transfert d’argent sont gagnants. Mais dés qu’ils voudront monter en gamme, pour proposer de l’épargne et du crédit, ils rencontreront les réalités d’un marché hpyer réglementé », concède un juriste qui a pignon sur rue à Abidjan. La barrière réglementaire que constitue le relèvement du capital minimum à 10 milliards de FCFA semble dès lors dissuasif. Pourtant de l’avis des observateurs, ce durcissement des conditions d’accès à l’activité bancaire va plutôt hâter la mutation du secteur. «Les banques auront de plus en plus mal pour remplir ces conditions. L’ensemble des résultats des 24 banques exerçant au Sénégal est inférieur à celui de la seule Sonatel qui présentait un résultat net de 221 milliards de FCFA à la fin 2015 ».
Cette surface financière ajoutée aux infrastructures constitue une force de frappe imparable qui font des opérateurs de télécoms les maîtres du jeu dans les rapprochements en cours. « Si les banques ne réagissent pas vite, elles vont disparaître dans un espace de dix ans », renchérit Mamadou Ndoye, fondateur de la start-up Obertys, qui propose de déplacer la banque chez le client au moyen d’une tablette tactile et d’un agent en moto. «Le processus est inéluctable, nous assistons à une convergence entre les métiers des télécoms et ceux de la banque. La bonne anticipation serait de revoir en profondeur le modèle de l’activité du retail banking qui ne doit plus reposer sur un réseau physique mais plutôt sur la banque mobile et à distance ». En clair, les banques doivent réagir. Autrement, poursuit cet ancien d’Ecobank, c’est l’ubérisation garantie. Déjà, sur le terrain, les nouveaux opérateurs comme Wari ont transformé les banques en sous-agent. «En quelques années, le rapport de force s’est inversé. Ce sont désrmais les banques qui courent derrière Wari pour lui proposer leurs réseaux». L’opérateur sénégalais de transfert d’argent qui fait transiter 4 milliards d’euros par an à travers son réseau devrait logiquement évoluer d’un cran pour proposer à la clientèle la possibilité d’avoir un compte à l’instar d’Orange Money. Ou encore de Mokash (MTN en partenariat avec Commercial Bank of Ouganda) en Ouganda, qui permet aux clients d’ouvrir un compte d’épargne mobile rémunéré et d’obtenir des prêts courts de 30 jours.
Les nouveaux acteurs
Orange Money réalise un record
Lancé en décembre 2008 en Côte d’Ivoire, Orange Money est désormais présent dans 14 pays d’Afrique et du Moyen-Orient. Avec près de 8 milliards d’euros échangés par plus 16 millions de clients à fin 2015, la progression d’Orange Money se poursuit avec un parc d’abonnés actifs estimé à 2 millions de clients. Orange Money a genéré 13,7% de la croissance de la Sonatel en 2015. En juillet 2016, Orange Money a atteint pour la première fois 1 milliard d’euros de transactions en un seul mois.
MTN s’allie avec WorldRemitt
En janvier 2016, le spécialiste londonien de transfert d’argent World Remit et le géant sud-africain MTN Group ont signé un partenariat permettant aux clients du premier d’envoyer l’argent via le réseau mobile banking du second dans des pays comme la Zambie, le Rwanda et en Ouganda. L’opérateur sud-africain compte 36 millions de clients disposant d’un compte électronique.
Safaricom, la prime aux pionniers
Lancé en 2007, le service M-Pesa du kenyan Safaricom a des dépôts qui dépassent 10 milliards de dollars à la fin 2015. Lancé en 2005 à l’origine pour faciliter le remboursement de microcrédit pour un réseau de 500 clients de l’institution de microfinance Faulu Kenya, le service a rapidement dépassé son usage de départ, se transformant en paiement mobile. Le M-Pesa comptait à la fin 2015 quelque 18 millions d’utilisateurs réalisant 8 millions d’opérations par jour.
L’Algérie va rejoindre le train en marche
Mohamed Habib, président directeur général de Mobilis, devra encore patienter pour lancer le service de Mobile Money en Algérie. Le texte encadrant cette activité attend l’aval de l’assemblée nationale. Mobilis opérera en partenariat avec la Banque Nationale d’Algérie. Les tests techniques effectués s’avèrent concluants.
Airtel Money et UBA scellent une union
La nigériane United Bank for Africa et Airtel Money ont lancé un partenariat stratégique, courant octobre, permettant aux clients de la banque de faire un lien permanent entre leurs comptes bancaires et leur portefeuille électronique. Grâce à ce partenariat, les clients de la banque pourront consulter leur compte, faire du shopping avec leur téléphone et payer leurs factures. Pour sa part, UBA aura accès aux 20 000 points de vente de Airtel à travers le Nigeria.
Face à ces assauts répétés sur leur secteur, certaines banques ont développé des fintech en interne pour, à l’instar d’Ecobank, lancer leurs propres services. «Trop coûteux et contre-productif » dénote un expert de la monétique qui estime que les établissements de crédit ont tout intérêt à se rapprocher des fournisseurs de solutions technologiques pour rejoindre la révolution en marche. «L’idéal serait d’intégrer des solutions externes et il y en a encore à bon marché». Malheureusement, les étages supérieurs des banques sont souvent conservateurs et peu sensibles aux innovations que proposent les jeunes ingénieurs. « Dans ses débuts, Wari s’est rabattu d’abord sur le réseau de Total. Les banques qui lui avaient fermé la porte ne sont revenus que quand le succès s’est avéré ».
En fait, les banques ne feront que retarder une tendance de rapprochement entre les services financiers dans leur globalité et les services technologiques. Orange qui a obtenu aussi son agrément en banque s’intéresse aussi aux assurances. Une offre de services bancaires et assurantielle mobile est prévue en 2017 avec Groupama Banque. Les experts qui prédisent la révolution de la retail banking dans les cinq prochaines années estiment que la banque abandonnera ce premier étage de l’activité aux fintech et aux opérateurs télécoms tout en continuant pour quelques années à assurer la gestion du risque. L’avenir du secteur bancaire est dans le corporate, la gestion de fortune et les services financiers à haute valeur ajoutée. Dans ce cadre, le lancement au Ghana, par Ecobank en partenariat avec MTN, du «Mobile Money Tresaurery Bill (TBill4all) permettant aux particuliers d’investir dans les bonds de trésor à partir de leur téléphone augure de la voie du futur.
En clair, à moyen terme, les opérateurs télécoms eux mêmes sont menacés par les GAFA (Google Amazone, Facebook, Apple). L’impact du lancement des services d’Apple Pay et de transfert d’argent via Facebook ou Twitter est à tenir en compte dans les business plan s’intéressant aux seteurs télécoms et banques. Une certitude illustrée par l’intrusion récente du service Google Pay qui est entrain de bousculer les Booking.fr et autres plateformes de distribution de produits touristiques qui ont contraint les tours opérateurs classiques (TUI, Thomas Cook) à revoir leurs business modéles.
Bref, en Afrique, il y a encore du chemin à parcourir pour lever tous les obstacles du mobile banking d’un pays à l’autre.
L’Afrique, un marché à peine exploré
Les 31 pays africains réceptifs à la mobile banking comptaient 84 millions de comptes actifs de monnaie électronique en décembre 2015 selon l’association GSMA. Le potentiel de développement est encore énorme dans un continent où le taux de bancarisation auprès de la banque classique n’excède pas 34% selon la Banque Mondiale. Dans un pays comme le Nigeria, première puissance démographique et économique du continent, les détenteurs d’un compte mobile appartiennent à la tranche 15-34 ans pour 60%, sont éduqués (70%) et ont un emploi (70%), révèle une étude de Financing Inclusion Insight, une plateforme de statistiques et d’analyses financée par la fondation Bill et Melinda Gate. Parallélement, d’autres études estiment que l’Afrique est en mutation. La technologie low cost USSD (Unstructured Supplementary Service Data), compatible avec presque 95% des téléhpones en circulation, est entrain d’être concurrencée par les applications développées par les finetech et qui ont l’avantage de supporter plus de services à valeur ajoutée. La prochaine révolution devenue nécessaire sera l’interopérabilité. Permettre aux clients de recevoir ou d’émettre de l’argent des et vers les systèmes concurrents, telle est la direction du marché. Ce qui suppose une mise à niveau de l’arsenal juridique et règlementaire.
Or, les réglementations diffèrent. Par exemple, au Ghana, les coûts de transactions sont supportés par l’expéditeur et le destinataire d’un envoi de monnaie électronique. Dans la zone UEMOA, seul le réceptionnaire est facturé.
En attendant l’harmonisation, notons que les clients de MTN et Vodafone bénéficient de l’interopérabilité depuis 2015. Le réseau d’acceptation né du partenariat couvre les plateformes MPesa de Vodafone au Kenya, en Tanzanie, en République Démocratique du Congo et au Mozambique et les platefofmes MTN Mobile Money en Ouganda, au Rwanda et en Zambie. Un partenariat analogue unit Orange Money et MTN sur la Côte d’Ivoire. Ce partenariat ouest-africain a été rejoint par groupe indien Airtel dont la filiale burkinabée a été rachetée à 100% par Orange, début janvier 2016. A terme, Orange, Millicom, Bharti Airtel, Ooredoo, Etisalat, MTN, STC, Zainet et Vodafone envisagent de créer un vaste réseau d’interopérabilité avec les encouragements de l’Association mondiale des opérateurs télécoms (GSMA). Ces 9 opérateurs totalisent 550 millions de transactions dans 48 pays d’Afrique.
Les transferts transfrontaliers, le graal
Selon la GSMA, un africain sur 7 reçoit des transferts en provenance d’amis ou de membres de la famille à l’étranger pour un montant de 60 milliards de dollars. Un transfert sur trois a lieu au sein du continent. Seul hic, dénoncé par la Commission économique pour l’Afrique (CEA), des coûts de transfert qui atteignent 12,4% du montant nominal de la transaction contre une moyenne mondiale de 8,6%. Les frais de transfert peuvent atteindre 20% sur les transferts effectués au sein du continent. La banque mondiale, citée par la GSMA, estime que les dix corridors de transfert les plus coûteux au monde se situent tous en Afrique et qu’une baisse de 5% des coûts de transfert libérerait 4 milliards en faveur de la population africaine. Ces chiffres démontrent l’enjeu pour les Etats de lever tous les verrous relatifs au transfert d’argent via le Mobile Money d’un pays à un autre. Les enjeux sont d’autant plus importants que, selon les études, jusqu’à 60% des transferts passent par des circuits informels dans des pays comme le Sénégal.
Source : Financial Afrik