Le tropisme est assumé, Jacques Bonjawo aime l’Inde. « J’entretiens avec ce pays une longue relation à la fois commerciale et intellectuelle », rappelle-t-il. Et quand il salue la qualité des ingénieurs de sous-continent, l’ex-senior de manager de Microsoft sait de quoi il parle. Il en emploie plus d’une dizaine dans sa société Genesis Futuristic Technologies.
Basée dans la banlieue de New Dehli, la start-up s’est spécialisée dans le développement de logiciels et les services informatiques pour le compte de clients occidentaux. Quid de l’Afrique dans les projets du chantre des nouvelles technologies en Afrique ? Pour le patron camerounais, il est encore trop difficile de créer des applications sur le continent : « Ce n’est pas faute de compétences, mais plutôt en raison d’un manque d’infrastructures et d’un déficit d’image du continent. Très souvent, on ne pense pas qu’il est possible d’y créer des logiciels de qualité. »
En attendant, Jacques Bonjawo n’a pas tiré un trait sur l’Afrique. Au contraire. Depuis deux ans, il déploie un projet de télémédecine au Cameroun qui a déjà permis le suivi de 11 000 patients. Une initiative, pour laquelle il a investi 760 000 euros et obtenu le concours de partenaires comme l’opérateur MTN ou le groupe agroalimentaire Somdiaa. Pour Jeuneafrique.com, il revient sur les enjeux d’internet sur le continent.
Jeuneafrique.com : Vous saluez dans votre ouvrage l’implication des politiques en faveur d’internet, mais concrétisent-ils leurs déclarations ?
Jacques Bonjawo : C’est vrai que d’une manière générale il y a beaucoup de déclarations d’intention. Pour autant, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’il n’y a pas de politiques volontaristes en Afrique. Regardez ce qu’a fait le président sénégalais Abdoulaye Wade en matière de technologies de l’information et de la communication [TIC, NDLR]. Le Sénégal s’est arrimé aux nouvelles technologies au travers du déploiement de câbles sous-marins et de fibre optique. Pourtant son potentiel économique n’augurait pas de cette percée, à l’inverse d’autres pays en Afrique centrale qui regorgent de richesses.
Que pensez-vous des fonds d’accès universel alimentés par les opérateurs télécoms pour développer le net ?
On peut légitiment se poser la question de savoir comment est utilisé l’argent collecté par le biais de ces fonds. Cela étant, je ne pense pas qu’un fonds soit le bon moyen de financer l’essor des technologies de l’information et de la communication sur le continent. Je plaide plutôt pour la mise sur pied de politiques incitatives, comme les zones franches, afin d’attirer les entreprises privées et les multinationales à l’image de ce qu’a fait l’Île Maurice.
Selon vous, le développement d’internet ne pourra se faire que grâce au secteur privé ?
Étant donné les investissements exorbitants nécessaires en amont, il est effectivement nécessaire de laisser le soin au secteur privé de supporter une grande partie des coûts, quitte à ce que ce soit dans le cadre d’un partenariat public-privé (ppp). Les moyens à mobiliser sont tellement colossaux que ce ne peut pas être seulement l’affaire des États. La force publique a un rôle à jouer à condition qu’elle soit confinée dans un rôle minimal, de régulation et qu’elle laisse au privé le soin d’entreprendre et d’être le meneur de jeu.
L’Afrique doit donc compter sur Google et Microsoft pour développer son internet ?
En partie oui. Ces sociétés qui sont leaders mondiaux dans le domaine de la technologie ont d’ores et déjà exprimé un intérêt pour le continent. Mais il ne faut pas oublier que ce sont des entreprises commerciales, donc elles n’ont pas pour mission de faire du social. Il faut donc les inciter financièrement à venir travailler sur le continent.
La taille du chantier n’appelle-t-elle pas une mobilisation panafricaine ?
Effectivement, une association des États africains au niveau régional et sous-régional pourrait permettre des économies d’échelle au niveau de la bande passante grâce à la construction de réseaux communs en fibre optique. Ceci étant, cette approche requiert une certaine harmonisation des politiques nationales. En attendant il n’est pas absurde de travailler en solo, comme le fait le Rwanda, la Tunisie ou l’Égypte.
Quel regard portez-vous sur le monopole que veulent conserver certains États comme le Cameroun sur la fibre optique ?
Ce monopole est absurde. C’est un peu un combat d’arrière-garde dans la mesure où l’État s’accroche à un domaine qui ne devrait pas être le sien. L’opérateur de télécoms MTN est tout disposé à faire les investissements nécessaires dans la fibre optique, ce qui baisserait les coûts de communication et profiterait aux consommateurs. Mais il n’arrive pas à obtenir les autorisations nécessaires. Je le répète. Je suis pour la libéralisation du secteur avec des États qui joueraient un rôle minimal en créant l’environnement réglementaire adéquat.
Dans votre ouvrage, vous prenez l’Inde comme un exemple à suivre pour l’Afrique, pourquoi ?
Premièrement, c’est pays pauvre qui comme le continent africain a une population très importante. Le pays est multiconfessionnel et les populations tirent la majorité de leurs revenus de l’agriculture ; encore deux autres points communs avec l’Afrique. Pourtant, l’Inde est devenue une économie émergente. La vraie différence tient à mes yeux à la bonne gouvernance. L’Inde est la plus grande démocratie du monde. Malheureusement en Afrique, peu de leaders ont conscience de l’impact de la gouvernance sur la prospérité de leur pays.
Mais concrètement, qu’est ce qui explique le succès de l’Inde dans le secteur informatique ?
Cela tient à la libéralisation de l’économie dans les années 1990 et à l’amélioration des formations, notamment au travers des Instituts indiens de technologie [IIT]. C’est ce volontarisme qui les a conduits à devenir une référence en informatique. En Afrique, il y a des pôles d’excellence, notamment les écoles polytechniques de Yaoundé, de Dakar ou Yamoussoukro, mais le nombre d’élèves formés, par exemple 25 par an à Yaoundé, est insuffisant. L’autre point pour développer internet est de lutter contre l’illettrisme en matière de TIC. Tous le monde n’a pas vocation à devenir ingénieur. Certaines initiatives comme celle de l’Institut africain d’informatique [IAI] du Cameroun, qui en cinq ans veut former 100 000 femmes à l’utilisation d’internet et des outils informatiques de base, méritent à ce titre d’être saluées.
Existe-il des pôles d’innovation en Afrique à l’image de la Silicon Valley ?
À l’état embryonnaire, à l’inverse de l’Inde qui a réussi à créer les conditions de développement d’activités offshore. Une réussite qui a profité du retour d’une diaspora indienne bien formée, attirée notamment par des incitations fiscales. Aujourd’hui, Bangalore, au sud de l’Inde compte plus d’ingénieurs que la Silicon Valley californienne. L’Afrique devrait copier ce modèle pour favoriser dans un premier temps le transfert de compétences avant d’envisager le transfert de technologies.
L’Afrique a-t-elle les moyens de séduire les investisseurs ?
Certainement, 10 % de taux de pénétration pour internet, cela peut paraître peu, mais il faut se souvenir que le chiffre était bien plus bas il y a cinq ans [environ 3 %, NDLR]. Sans parler de l’exemple du téléphone portable qui a connu une véritable explosion au cours de la dernière décennie et qui a amené les investisseurs à regarder le continent différemment.
Justement, le téléphone portable est-il le terminal le plus adapté pour aller sur internet en Afrique ?
Tout à fait, je pense que c’est la plateforme idéale. Le mobile coûte moins cher que l’ordinateur et il est facile à utiliser. Même les grands-mères dans les villages savent s’en servir. Par ailleurs, quantité d’applications se développent et vont continuer de se développer sur les portables. C’est l’outil idéal de démocratisation des TIC. On l’a vu récemment en Égypte quand le pouvoir a coupé internet, Google a mis à disposition du public via un numéro de téléphone le moyen d’accéder à Twitter pour contourner la censure. Aujourd’hui 40 % des Africains disposent d’un portable, on peut penser que dans dix ans il y aura autant de portables que d’Africains.
Propos recueillis par Julien Clémençot
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