Et puis « que feront les jeunes adultes en vieillissant ? » s’interrogeaient nombre de dirigeants qui pariaient sur un comportement générationnel et non structurel des plus jeunes. Mais la réponse à cette question vient de leur être apportée par la dernière étude réalisée par l’Arcep sur la diffusion des technologies de l’information dans la société française. Et elle apporte un démenti à l’optimisme des acteurs de l’audiovisuel.
Cette étude confirme la priorité accordée à internet par les 12 – 17 ans. Ils passent en moyenne 16 heures par semaine à surfer en ligne, contre 14 heures devant le téléviseur. Et ce comportement nouveau n’est pas générationnel. Les cadres sont tout aussi « accros » à internet : 17 heures à être en ligne, contre 11 heures devant le téléviseur. Une évolution qui est intervenue avant que le téléviseur ne se transforme en terminal internet.
Qu’en sera-t-il demain quand les foyers seront équipés en téléviseur connecté (sous entendu à internet) ? « Le flux vidéo va être encapsulé dans internet, et l’audiovisuel gratuit va devenir une sous-partie de ce flux » estime Michel Sasportes, Managing Partner du bureau parisien d’OC&C Strategy Consultants. Autrement dit, la consommation à la carte des différents services vidéo va progressivement s’imposer, induisant une remise en cause en profondeur du modèle économique traditionnel.
Un autre chiffre confirme la prise de pouvoir d’internet. En 2006, les deux tiers des téléspectateurs français n’avaient qu’un seul moyen pour recevoir le flux audiovisuel (en l’occurrence, par les ondes hertziennes), ils n’étaient plus qu’un tiers en 2010 selon l’enquête de l’Arcep. L’audiovisuel traditionnel doit s’y faire : la réception hertzienne est en train de devenir secondaire.
Dans ce cadre, l’audiovisuel américain est la clé de l’évolution. Il est devenu la ligne Maginot de l’audiovisuel européen. Pendant combien de temps encore les grands groupes audiovisuels américains vont-il résister à internet ? Compte tenu du poids pris par les films et les séries américaines dans la consommation audiovisuelle européenne (60 % des programmes regardés en Europe seraient d’origine américaine, selon l’institut Idate), l’avenir de l’audiovisuel européen se joue en effet outre-Atlantique.
Jusqu’à présent, pour boucler le financement des films et des séries, les majors américaines comptaient sur la revente à l’international, les chaînes européennes assurant une bonne part de ce cofinancement. Or Google fait le siège pour pouvoir diffuser, via YouTube aujourd’hui ou Google TV demain, les produits des studios américains. Le choix est donc simple pour les majors US : maintenir la vente des droits par pays, ou basculer dans un nouveau monde dans lequel ce serait les grands noms d’internet qui mettraient la main sur ces droits.
L’audiovisuel américain hésite car, étant intégré verticalement (depuis la production aux chaînes de télévision), il est dans le même temps confronté à la concurrence d’internet. Mais il a déjà cédé en partie, comme le montre le succès de Netflix (loueur de DVD qui a évolué vers la diffusion d’émissions en streming, et autorisé à rediffuser les séries à succès), alors que l’audiovisuel américain a concocté sa propre réponse en ligne avec le site Hulu. Et pour de nombreux consultants, ce bouleversement est inéluctable à moyen terme et les Européens doivent s’y préparer.
L’Europe, tête de gondole de l’Amérique
Une fois que l’audiovisuel américain aura cédé aux avances d’internet, les jours des grandes chaînes hertziennes seront comptés. « Elles deviendront des têtes de gondoles », pense Michel Sasportes. « Elles seront utilisées pour lancer la première saison des nouvelles séries et assurer leur succès, mais ensuite les téléspectateurs pourront utiliser les services en ligne pour suivre les saisons suivantes. »
Au mieux, les chaînes traditionnelles seront utiles pour retransmettre les grands évènements en direct : compétitions sportives, élections … Cependant Emmanuel Gabla, membre du collège du CSA, s’interroge : « Si c’était le cas et c’est loin d’être certain, cela serait-il suffisant pour faire fonctionner une chaîne 24 heures sur 24 ? » On peut en douter. D’autant qu’une partie des programmes, qui assurent encore aujourd’hui des succès d’audience importants et donc de confortables recettes publicitaires pour les chaînes, pourraient aussi être diffusés directement en ligne par leurs producteurs, comme Endemol, en dehors du circuit traditionnel, déshabillant un peu plus l’audiovisuel européen.
Dans ce grand chamboulement, seuls survivront ceux qui auront anticipé l’évolution du paysage audiovisuel en développement leurs propres contenus, comme le fait déjà Canal +.
Le financement du cinéma européen
Si les actionnaires de TF1 et de M6 peuvent légitimement s’inquiéter pour l’avenir de leur investissement, le sort funeste qui attend les deux chaînes n’est qu’une péripétie de l’histoire. Le véritable problème, induit par l’effondrement du modèle économique traditionnel, est ailleurs : c’est celui du financement du cinéma européen, et plus généralement des industries culturelles. Le modèle français (participation financière de l’audiovisuel, quotas d’oeuvres européennes) s’est imposé en Europe.
Une disparition à terme des chaînes hertziennes imposerait donc une refonte du modèle de financement de la culture. Si le problème semble considérable, Michel Sasportes semble toutefois très confiant dans la capacité du système à générer de nouvelles sources de financement : « Les consommateurs sont prêts à payer pour des produits créatifs, il n’y a donc pas de raison que l’économie du spectacle disparaisse ».
Et de rappeler que dans le grand mouvement de déréglementation tout azimut qui a touché les économies occidentales au cours des vingt dernières années, un seul secteur a été épargné : le droit de la propriété intellectuelle, sans lequel « l’innovation disparaît ». Et de conclure : « Toute l’économie de la création… restera protégée », ce qui permettra son financement car les détenteurs de droit seront rétribués par les acteurs du nouveau jeu de l’audiovisuel en ligne.
La riposte des FAI
Dans ce paysage complexe, les FAI, notamment tricolores, ont raté le virage des contenus. Ils se battent maintenant pour conserver le contrôle de l’abonné via le décodeur. Les dernières innovations proposées par Free et SFR vont dans ce sens : offrir à l’abonné, via le portail vidéo de l’opérateur, tout ce qu’ils peuvent trouver sur internet, sans avoir besoin de passer par les plateformes proposées par Google ou Apple sur le téléviseur connecté. But du jeu : garder tout ou partie des revenus induits par les services audiovisuels associés (VoD, télévision de rattrapage …), qui sinon pourraient partir dans la poche des fournisseurs de contenus en ligne.
La neutralité des terminaux
Dans le futur paysage audiovisuel en ligne, la concurrence pourrait néanmoins devenir très vite impossible si aucune garantie n’est apportée sur la neutralité des fournisseurs de contenus ni sur celle des terminaux : les deux bouts de la chaîne pourraient rapidement s’entendre pour imposer leur contrôle (donc leur censure) sur les contenus qu’ils transportent, surtout si les fournisseurs de contenus contrôlent aussi le terminal.
Ce qui est déjà le cas d’Apple qui semble être dans le collimateur des pouvoirs publics : l’écosystème développé par le groupe de Steve Jobs pour ses terminaux (iPod, iPhone et iPad) est totalement fermé, Apple décidant en outre, dans la plus grande opacité, de ce qui peut être ou non diffusé sur ses plateformes par les développeurs extérieurs.
Outre les problèmes concurrentiels soulevés par l’Autorité de la Concurrence concernant la domination exercée par Google sur le marché de la recherche en ligne, le géant de l’Internet peut aussi exercer une censure implicite sur les contenus proposés aux Internautes – téléspectateurs via son système d’indexation. C’est d’ailleurs l’objet de l’enquête de la Commission européenne qui cherche à savoir si Google ne favorise pas ses propres contenus au détriment de ses concurrents.
[readon1 url=”http://www.reseaux-telecoms.net”]Source :reseaux-telecoms.net[/readon1]