Sénégal – Attribution de licences fournisseur d’accès Internet : Quand l’appel public à candidatures sent la magouille
Le sujet a été défloré dans notre édition du vendredi 23 décembre 2016. Il s’agit de l’appel public à candidatures pour l’attribution de fournisseur d’accès internet au Sénégal. A l’issue du processus d’évaluation des offres techniques, l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) a informé quelques sociétés postulantes -elles étaient 9 au total- de leur non-qualification pour la suite de la procédure. Une épilogue que laissait subodorer, selon des observateurs, certains jeux de coulisses. L’occasion faisant le larron, votre quotidien a enquêté sur le marché de l’internet au Sénégal. Nos tentatives pour recueillir la version de l’Artp -nous avons appelé au 338690369 et laissé nos coordonnées à la standardiste qui avait promis de nous revenir- sont restées vaines. Les colonnes de 24 Heures leur sont ouvertes.
Aux goulots d’étranglement découlant de ce qu’il est convenu d’appeler «le monopole de la Sonatel/Orange sur les 3 segments de la chaine de valeur du marché de l’accès à internet» (lire ci-dessous), avec comme conséquence immédiate des pratiques anti-concurrentielles, il faut ajouter un cadre règlementaire faible comportant beaucoup de limites : une absence de régulation de la part de l’autorité et un manque de volonté politique réelle de développer le marché de l’internet.
Pratiques anti-concurrentielles
La Sonatel/Orange était le concurrent de ses propres clients que sont les Fsi. Elle vendait en gros aux Fsi mais aussi au détail au client final, d’abord par Télécom-Plus puis par Sonatel Multimédia. Et les pratiques concurrentielles déloyales de Sonatel/Orange sur les Fsi étaient quotidiennes et nombreuses : retard inacceptable dans la conversion des lignes en Adsl, lenteur pour la création du nom d’utilisateur et de mot de passe sur le serveur dédié dans le cadre d’une connexion bas débit Rtpc. De mauvaises pratiques qui se ressentent lors des pannes sur les lignes des clients des Fournisseurs de services par les techniciens de Sonatel, les délais de réparation des lignes étant, parfois, anormalement longs. Commercialisant des liaisons spécialisées dont les débits furent pendant longtemps limités à moins d’un mégabits/seconde, tandis que Télécom-Plus accédait directement au backbone international, la Sonatel a contribué, par cette pratique, à discréditer les autres Fsi aux yeux de la clientèle, car étant incapables de faire jeu égal avec elle en matière de qualité et de confort de connexion. Résultat des courses, les clients se sont détournés de l’offre des Fsi. Et, dans l’esprit d’une majorité de Sénégalais, «services de télécommunications» rimaient avec Sonatel. A cette dépendance technique vis-à-vis de la Sonatel, avec des méthodes monopolistiques dans l’accès à aux infrastructures, la tarification de vente de trafic de gros ne laissait pas beaucoup de marge aux Fsi. Ces derniers, devant revendre à leurs clients au prix de détail en fonction des coûts encourus, ont beaucoup pâti de cette situation et ont dû quitter le marché
Faible cadre règlementaire
Le Code des télécommunications de 1996 et sa modification en décembre 2001, par l’adoption d’un nouveau Code des télécommunications, n’a pas créé un environnement légal et réglementaire propice à la concurrence, mais plutôt conforté le monopole de l’opérateur historique sur les services mobiles jusqu’en 2004 et le fixe jusqu’en 2007. Du fait de son monopole, la Sonatel/Orange a régulé, pendant longtemps, le secteur malgré la création, en 1994, de la Direction des études et de la réglementation des postes et télécommunications (Derpt) au sein du ministère des Télécommunications et l’adoption du Code des télécommunications de 1996 qui, en transférant la politique réglementaire au ministère des Télécommunications, a introduit la séparation entre la fonction d’exploitation et celle de réglementation. Ce n’est qu’en 2001, avec l’adoption du Code des télécommunications, que fut créée une agence de régulation qui se verra confier les tâches de régulation et le pouvoir de réglementation, la rendant à la fois juge et partie. Cette agence, devenue opérationnelle en 2003 avec la signature du décret organisant son fonctionnement, n’a jamais accompli sa mission, car disposant de moyens techniques limités et de ressources humaines faibles venant principalement de la Sonatel. Face au vide juridique et réglementaire, aucune décision n’a été prise contre l’opérateur historique Sonatel afin qu’elle n’écrase pas la concurrence.
Absence de volonté politique
Au Sénégal, malgré les discours de circonstance des autorités, il ressort des constats relevés qu’il n’existe pas une réelle volonté politique pour faire progresser rapidement le segment de l’internet. La volonté politique est souvent émoussée et laisse place à des pratiques qui laissent penser que le souci de faire évoluer rapidement le secteur des Tic n’existe pas. En effet, en l’absence d’une régulation asymétrique des tarifs pour instaurer et intensifier la concurrence dans les services internet, les autorités n’ont pas élaboré une stratégie claire et cohérente pour développer l’internet et les services annexes. La stratégie nationale de développement des Tic rédigé en 2002 et la définition en 2005 d’une lettre de politique sectorielle des Tic n’ont pas pris en charge la question des fournisseurs de service internet. Le résultat de tout ce qui précède est la faillite de tous les fournisseurs de service internet du début des années 2000. Aujourd’hui, il ne reste qu’un seul Fsi, en l’occurrence Arc Informatique. Et, pourtant, une mise en œuvre du dégroupage de la boucle locale avec l’élargissement des services offerts par les Fsi, une régulation asymétrique des tarifs orientés vers les coûts, l’introduction et la promotion de technologies alternatives dans la boucle locale auraient permis d’éviter le déclin et la disparition des fournisseurs de service internet au Sénégal.
Aux sources de la disparition des premiers FAI
La chaine de valeur du marché de l’accès à internet est composée de trois segments : la connectivité internationale, la connectivité nationale et la connectivité locale. La position dominante ou le monopole d’un opérateur ou d’un acteur sur l’un ou plusieurs de ces segments réduit fortement et élimine la concurrence dans le marché. Au Sénégal, l’obstacle majeur au développement de la concurrence est dû au fait que ces 3 segments sont sous le contrôle de l’opérateur historique, en l’occurrence Sonatel/Orange, qui détient, de bout en bout, l’infrastructure utilisée dans la fourniture de la connexion internet.
Le segment international
La connectivité internationale est fondamentale dans la chaine de valeur. Il s’agit des liaisons entre le Sénégal et le reste du monde. La connectivité internationale du Sénégal est réalisée par les câbles Atlantis 2 (mis en service en février 2000 avec une capacité de 20 Gbit/s), Sat-3/Wasc/Safe (mis en service en avril 2002 avec une capacité de 380 Gbit/s) et Ace (mis en service en 2012 avec une capacité de 5,2 Térabits/s). Sur les 2 premiers câbles, la Sonatel est le seul copropriétaire national et sur le 3ème, elle l’est avec Expresso Sénégal. En plus, la Sonatel possède le centre de télécommunication par satellite de Gandoul avec son un Hub Vsat. Ainsi, la Sonatel exerce un quasi-monopole sur la vente de capacité internationale aux opérateurs télécoms ou aux éventuels fournisseurs d’accès internet. Le manque de concurrence sur ce segment de la connectivité internationale se traduit par des prix élevés. L’entrée d’Expresso Sénégal, comme fournisseur de capacité internationale, n’a fait que transformer le marché en duopole avec des prix alignés.
Le segment national
Le segment national (dorsale nationale) se rapporte aux liaisons interurbaines de grande capacité utilisées pour relier différentes zones de service, pour fournir la connexion internet. Jusqu’en 2007, avec l’entrée d’Expresso Sénégal, la Sonatel/Orange était le seul opérateur autorisé à construire et à exploiter un réseau national. Donc un monopole de fait. Le réseau national de la Sonatel est constitué de 25 boucles de transmission couvrant l’étendue du territoire national, en particulier les 14 principales villes du pays, tout en donnant une connectivité aux pays voisins : Gambie, Mali, Guinée, Guinée-Bissau, Mauritanie. Expresso Sénégal, Adie, Senelec, Société de gestion de Manantali (Sogem) possèdent des réseaux de moindre envergure qui ne peuvent réellement pas concurrencer la Sonatel. Le contrôle du backbone national donne à la Sonatel une emprise sur ce segment stratégique de la chaine de valeur.
Le segment local
Le segment local ou boucle locale est l’élément physique comme une paire de cuivre, le câble ou une fibre optique qui relie un utilisateur au premier niveau d’équipement du réseau auquel il est abonné. Elle est communément appelée «dernier kilomètre» et relie l’abonné au central de gestion. En l’absence d’un dégroupage de la boucle locale (tarif de location des lignes d’abonnés qui reflexe les coûts) ce segment est aussi sous le contrôle total de Sonatel/Orange. Il n’y a aucune concurrence, donc d’offre alternative, sur la boucle locale car les investissements y sont très élevés donc dissuasif malgré l’enjeu que constitue l’accès direct au client final avec à la clé une offre complète de service. Il ressort de l’état des lieux ci-dessus que les premiers acteurs dans le marché de l’accès à internet -Arc Informatique, Cyber Business, Silicon Valley, Trade Point, Ong Enda (Cyberpop), Auf, Université de Dakar, Metissacana, Wait, Sud Informatique…- n’étaient pas en réalité des fournisseurs d’accès internet (Fai), mais plutôt des fournisseurs de service internet (Fsi). Le fournisseur de service internet achète en gros auprès d’un fournisseur d’accès internet et revend des abonnements à l’utilisateur final en fournissant les équipements nécessaires à la connexion. C’est une activité qui ne nécessite pas un investissement important au démarrage. En effet, il suffit d’avoir un serveur, un logiciel d’authentification et une liaison avec le Fai pour commencer ce business. Il n’existe donc pas de barrière économique ou financière pour devenir fournisseur de service internet (Fsi). Le Fsi est très dépendant du Fai. De ce fait, le fournisseur de service internet (Fsi) est très vulnérable et sa survie dépend beaucoup du fournisseur d’accès internet (Fai). En vertu de tout ce qui précède, les Fsi des années 2000 n’avaient pas de choix. Ils ne pouvaient donc utiliser, en l’absence d’offre alternative, que les liens nationaux, internationaux et la boucle locale de la Sonatel.
Les Sénégalais parmi les Africains les plus connectés ?
Selon l’édition 2016 du Rapport sur le développement dans le monde consacré aux “Dividendes du numérique” de la Banque mondiale, le Sénégal fait partie des pays d’Afrique qui encouragent le plus l’entreprenariat dans les technologies de l’information et de la communication (Tic). L’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) dénombre entre 12 et 13 millions d’abonnés. C’est dans ce “contexte national et régional prometteur” qu’a été inauguré, le mois dernier, le Jambar Tech Lab, un programme panafricain coordonné par l’incubateur Ctic Dakar, avec l’appui du programme InfoDev du Groupe de la Banque mondiale et en partenariat avec plusieurs bailleurs de fonds (Agence norvégienne de coopération pour le développement, Agence suédoise de coopération pour le développement international, ministère finlandais des Affaires étrangères et Sonatel). Le Jambar Tech Lab accompagnera pendant six mois 40 entrepreneurs d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale pour les aider à mettre au point et à commercialiser des produits et services numériques innovants. À l’issue d’un processus de sélection, qui évaluera la viabilité et la bancabilité de leurs projets, les entrepreneurs retenus participeront à une formation de sept jours en immersion à Dakar. Ils bénéficieront ensuite, durant 24 semaines, d’un coaching personnalisé et des conseils de mentors expérimentés pour définir des solutions destinées à accélérer et à étendre leur activité. Le programme traitera aussi de sujets essentiels, tels que la propension à investir et la mobilisation d’investisseurs, les réseaux de la diaspora et l’internationalisation des acteurs du numérique. Il cherchera également à mettre en place les capacités et les réseaux nécessaires pour transformer des projets à fort potentiel en entreprises rentables. En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, les entrepreneurs se heurtent à des obstacles, dont certains sont propres à la situation géographique et au contexte culturel. La connexion et le débit internet sont moins bons que dans les autres régions d’Afrique et restent très chers. En outre, les entrepreneurs ne bénéficient pas d’un puissant réseau pouvant leur permettre d’échanger les meilleures pratiques et de chercher ensemble des solutions à des problèmes communs. “Au Sénégal, le secteur des Tic est pénalisé par une réglementation qui n’encourage pas vraiment les nouveaux acteurs à entrer sur le marché. C’est tout particulièrement le cas pour les fournisseurs de services Internet. Du fait de cette absence de concurrence, les coûts sont élevés et la qualité de service n’est pas toujours au rendez-vous, ce qui nuit fortement à la compétitivité de l’économie sénégalaise”, observe Laurent Corthay, spécialiste senior du développement du secteur privé à la Banque mondiale, basé au Sénégal.
Etat des lieux d’un marché où règne le brouillard
Nous examinerons d’abord la stratégie développement de l’internet des autorités depuis la disparition des Fsi, la réglementation et la situation actuelle du marché avant de donner les clés de la réussite des nouveaux entrants.
«Sénégal Numérique 2016-2025»
De 2005 à 2015, aucune stratégie de développement des Tic n’a été élaborée par les autorités. Ceci a eu comme conséquence une inadéquation entre le cadre légal, réglementaire et la situation réelle du marché. C’est durant cette année 2016 qu’une stratégie nationale de développement dénommée «Sénégal Numérique 2016-2025» a été définie. Elle a été élaborée, sans dresser au préalable un état des lieux clair et précis du secteur des technologies de l’information et de la communication (Tic) au Sénégal. En effet, la dernière enquête nationale sur les Tic publiée par l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (Artp) remonte à 2009. Depuis lors, aucune collecte de données n’a été effectuée. Les autorités n’ont pas un tableau de bord qui permet un examen du secteur des Tic pour mesurer sa taille, la portée des produits et services offerts, les usages, ainsi que d’identifier les défis réglementaires ou politiques. Aussi, cette stratégie soulève beaucoup d’interrogations de par ses omissions et informations incomplètes. Dès lors, il n’est pas surprenant de constater qu’il n’est pas indiqué, en matière d’infrastructures, dans ce document comment réduire la fracture numérique existant entre Dakar et le reste du pays, alors que le taux de pénétration d’internet reste faible, et procéder à l’aménagement numérique du territoire pour un accès internet démocratisé.
Sus au Code des télécoms !
Un aspect essentiel de l’évolution de la stratégie pour le développement de l’accès à l’internet est l’adoption par les responsables politiques d’une vision intégrée de la chaîne de valeur et sa prise en charge par un leadership fort pour la mise en œuvre des politiques. Au Sénégal, ce leadership n’a été constaté ni dans la définition de la stratégie ni dans la refonte du cadre légal et réglementaire. Le nouveau Code des télécoms de 2011, bien qu’apportant des innovations majeures, surtout avec la transposition des actes de la Cedeao et le partage des infrastructures nationales, ne crée pas un cadre qui favorise les fournisseurs de service internet. Ils ne sont pas clairement pris en charge par cette loi. Tout au plus, ils tombent dans la catégorie des fournisseurs de service à valeur ajoutée. Et l’article 34 dudit Code dispose qu’ils ne sont autorisés à utiliser leurs propres infrastructures. Ainsi, le cadre légal ne favorise pas, depuis 2011, l’entrée de nouveaux acteurs dans le marché de l’accès à internet. Bref, des obstacles règlementaires au déploiement des réseaux nationaux privés ont été érigés au profit de l’opérateur historique Sonatel/Orange. Par conséquent, on note une absence d’investissements suffisants dans les infrastructures de base fixe au profit du réseau mobile à la norme Gsm. Et, pour combler le retard dans l’accès au réseau filaire, les opérateurs ont investi dans un réseau sans fil à la norme Cdma (Expresso Sénégal et Sonatel/Orange).
Réflexion sans lendemain
L’accès équitable par des tarifs orientés vers les coûts des stations d’atterrissement de câbles sous-marins et une réglementation en accès ouvert des stations d’atterrissement sont nécessaires pour fournir de la bande passante internationale pour un moindre coût et avec une meilleure qualité. Malheureusement, cette situation est loin d’être le cas au Sénégal et le Code des télécoms de 2011 ne comporte aucun article sur l’accès aux stations d’atterrissage des câbles sous-marins. Cette absence de législation sur des infrastructures aussi stratégiques sur la capacité internationale crée un vide juridique favorable à Sonatel/Orange. Le dégroupage de la boucle locale est traité dans le Code de 2011 en 3 articles. L’article 53 du Code parle de «nouveaux entrants» sans pour autant les définir, d’où un flou total. Et l’article 55 dispose que les conditions d’application du présent chapitre sont précisées par décret. Il est donc évident que tout changement de positif est sujet à une volonté politique réelle. Aussi, il n’est pas surprenant que l’Artp mène, depuis 2004/2005, une réflexion sur le dégroupage de la boucle locale, sans avoir jamais posé un acte concret dans ce sens. En plus de tout ce qui précède et des limites du Code de 2011 sur les innovations majeures intervenues dans le secteur des Tic depuis 10 ans, il y a l’inaction des autorités pour réguler le marché. Ce qui a comme résultat une consolidation du monopole de la Sonatel sur l’ensemble de la chaine de valeurs du marché de l’accès aux services internet.
L’Etat dément l’Union internationale des télécommunications
Le ministère des Postes et des Télécommunications dément, dans un communiqué, les informations faisant état du recul du Sénégal dans le dernier Rapport annuel de l’Union internationale des télécommunications (UIT), portant sur l’Indice de développement des Technologies de l’information et de la communication (Tic). Citant ce rapport, l’Association sénégalaise des utilisateurs des technologies de l’information et de la communication (Asutic) indique que « dans le classement mondial, le Sénégal dégringole de la 124ème place en 2012 à la 141ème en 2016, en passant par la 132ème en 2015. Un recul de 9 places en une année et de 17 en 4 ans ». Le ministère dirigé par Yaya Abdoul Kane de souligner : “Les allégations de l’Asutic voulant faire croire que le Sénégal est parmi les pays les moins connectés au monde sont fausses et ne contribuent qu’à ternir l’image du Sénégal. L’Asutic présente les résultats du Rapport de l’Uit 2016 et Stratégie Sénégal numérique 2025 sans en maîtriser les concepts et en ignorant toutes les préoccupations d’usage. Le communiqué de poursuivre : “L’Asutic devrait, tout d’abord, énoncer les précautions et les clés que l’Uit donne aux pages 10 et 11 de son Rapport pour une exploitation convenable. La précaution édictée par l’Uit concerne le fait que les données entre 2015 et 2016 ne soient pas directement comparables, à la suite du changement du sous-indice lié aux compétences”. D’ores et déjà, indique le ministère des Postes et des Télécommunications, trois réformes prioritaires ont fait l’objet d’approbation au Conseil des ministres du 30 novembre 2016. Elles visent à “favoriser la baisse des coûts des services de télécommunications pour les utilisateurs finaux, en réduisant d’une part les coûts de déploiement des infrastructures par la mutualisation”. Ces réformes devraient permettre à de nouveaux opérateurs de proposer des offres de gros au Sénégal enfin de baisser la barrière à l’entrée des fournisseurs d’accès à internet dans le marché des télécommunications. Selon toujours ledit communiqué, “ces mesures ont été prises pour impacter l’Indice de développement des Tic (Idi), mesuré par l’Uit pour les années à venir, en particulier au niveau de l’accessibilité aux services numériques”.
La panacée pour démocratiser internet au Sénégal
Pour créer un écosystème favorable à la démocratisation de l’accès à internet au Sénégal, les recommandations suivantes sont formulées par des hommes de l’art sur l’ensemble de la chaine de valeur :
Segment international
Avec un accès à des offres de gros de capacités internationales à des tarifs concurrentiels, les opérateurs et fournisseurs d’accès internet peuvent proposer des services moins coûteux à leurs clients. Par conséquent, le quasi-monopole de Sonatel/Orange sur les stations d’atterrissage des câbles sous-marins constitue un handicap majeur à la concurrence. Car elle utilise sa position dominante sur ce segment pour freiner l’accès et maintenir les prix à des niveaux élevés. Aussi, pour un accès abordable et équitable aux câbles sous-marins. Et, pour remédier à ce type de dysfonctionnement du marché, il est nécessaire de procéder à la transposition dans le Code des télécoms du Sénégal du règlement C/Reg.06/06/12 de la Cedeao portant conditions d’accès aux stations d’atterrissement des câbles sous-marins, adopté durant la 68ème Session ordinaire du Conseil des ministres de juin 2012, à Abidjan (Côte d’Ivoire). Un règlement qui a pour objet de créer des conditions d’accès équitable à la bande passante internationale, de façon à permettre le développement d’un marché national hyper concurrentiel.
Segment national
Le monopole de fait de Sonatel/Orange sur le backbone national est un autre frein au développement de la concurrence. Le partage et la mutualisation des infrastructures sont consacrés par le Code de 2011 et il faut une volonté politique ferme pour sa mise en œuvre. Aussi, face aux défis liés aux investissements importants à réaliser dans la construction des backbones et à la rentabilité à long terme de ces investissements, il est proposé de créer un partenariat public/privé innovant pour réaliser les projets de backbone national.
La boucle locale
Vu le monopole de Sonatel/Orange sur la boucle locale (accès local) fixe, il urge, conformément à l’article 53 du Code des télécoms de 2011, de procéder au dégroupage de la boucle locale fixe.
Aussi, pour permettre aux nouveaux fournisseurs d’accès internet l’accès au client final, il faut introduire et faire la promotion de technologies basées sur la boucle locale radio telle que le Wimax.
Une urgence : Réduire le coût de la bande passante internationale
Les sites web et autres applications en ligne sont hébergés en majorité en dehors du Sénégal. En plus, les Sénégalais utilisent presque exclusivement des adresses de courriel avec yahoo, hotmail, etc. De ce fait, le coût de la bande passante internationale constitue l’une des causes essentielles de la cherté de connexion internet au Sénégal. Aussi, pour optimiser l’utilisation de la bande passante internationale par la prise de mesures visant à réduire son utilisation dans la mesure du possible et enfin réduire ce coût, 3 types mesures sont proposées par les experts :
- Promotion du nom de domaine .sn
Des mesures doivent être prises par les autorités pour la promotion du nom de domaine .sn. Ce qui n’est possible qu’avec la réduction de son prix. En effet, son prix est de loin supérieur à celui des noms de domaines génériques tels que .com, .org, .net, etc. Dans le même ordre, les autorités nationales doivent prendre des mesures pour promouvoir au niveau des citoyens l’utilisation des adresses électroniques avec l’extension .sn. En effet, chaque fois qu’un citoyen envoie un message électronique à un autre citoyen, il y a consommation de bande passante internet internationale si l’une des adresses n’a pas une extension du Sénégal (.sn). Enfin, il faut instituer ou poursuivre une politique d’hébergement local des contenus pour économiser l’utilisation de la bande passante internet internationale. - Développement des contenus locaux
Les autorités doivent définir un Plan national de développement de contenu local. Il concernera tous les domaines car les Tic sont des outils transversaux : l’agriculture, la santé, l’éducation, la culture, le commerce et l’administration publique. Tous les projets et programmes gouvernementaux doivent intégrer un volet qui prend en compte les Tic. En ce sens, la création de data-center doit être encouragée. - Installation de points d’échange Internet nationaux
Un point d’échange internet permet d’échanger localement du trafic Internet entre deux fournisseurs de service Internet dans un même pays. De ce fait, il y a une économie dans l’utilisation de la bande passante Internationale. Tout ce qui précède n’est possible qu’avec un leadership politique de haut niveau, une stratégie claire et cohérente pour les Tic, une amélioration du cadre juridique et une meilleure régulation du secteur qui ne devraient pas avoir pour effet de perturber le marché en favorisant un opérateur ou en reconstituant un monopole de fait.
La situation du marché fait-elle craindre le pire ?
On note une forte domination du marché par la Sonatel, aussi bien sur l’internet fixe que mobile. Sur l’internet fixe, il y a un seul fournisseur alternatif, Arc Informatique, qui est plutôt un revendeur du service de la Sonatel. S’agissant de l’internet mobile (2G et 3G), trois fournisseurs (Sonatel/Orange, Tigo, Expresso Sénégal) se partagent le marché. Au niveau de l’internet mobile (4G), il y a pour le moment un seul fournisseur : Sonatel/Orange. Quid de l’internet sans fil ? Dans ce domaine, il y a 2 fournisseurs : Sonatel/Orange et Expresso Sénégal. Toutefois, il faut signaler un recul du parc d’abonnés fixes au profit de l’internet mobile avec une progression importante de la 3G et une absence de technologies alternatives (Wifi et Wimax). Le marché de l’internet fixe est en régression, tandis que celui du mobile est en constante progression. Il s’y ajoute l’absence de compétition sur l’internet fixe, entrainant un renchérissement du coût de connexion. Bref, le fonctionnement actuel du marché de la connexion internet n’est pas satisfaisant. Des pratiques anti-concurrentielles ont été constatées sur ce marché, avec pour conséquences des tarifs élevés. Au regard de la situation du marché de l’internet au Sénégal (cadre légal et réglementaire, faible régulation de l’Artp et manque de volonté politique), force est de constater que les conditions qui avaient fait disparaitre du marché les fournisseurs de service internet des années 2000 sont toujours présentes plus de 10 ans après. La disparition des télé-centres, aussi alarmante que cela puisse être sur les dysfonctionnements majeurs qui freinent le développement de l’accès à internet, n’a pas été un déclic pour les autorités afin d’impulser de profonds changements dans la chaine de valeur. En somme, les pouvoirs publics doivent dérouler, hic et nunc, une stratégie cohérente pour supprimer tous les goulots d’étranglement avant l’entrée de nouveaux acteurs dans le marché de l’accès à internet. A défaut, c’est condamner d’avance les nouveaux entrants à la faillite et reproduire le scenario des années 2000 avec les Fai, pardon Fsi.
Source : 24Heures, Senbusinet