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m_paymentDans un article paru dans la GAZETTE du mardi 5 mai 2009, intitulé « Transfert d’argent par le téléphone mobile, litige autour d’une innovation », il est fait état d’une « contrefaçon » relative à une solution de transfert d’argent.  Pour rappel des faits, selon la Gazette, « Monsieur Tambérou Niane inventeur d’une solution de transfert d’agent par le téléphone mobile, qu’il a pris le soin de breveter et de protéger auprès du Bureau Sénégalais du droit d’Auteur, s’est rapproché de Sonatel Mobiles en 2004 pour la mettre en œuvre. Que cette dernière plutôt que de faire suite à sa demande de partenariat l’a développée toute seule en violation des droits de Monsieur Niane.

Cet article « riche » en affirmations doit en principe interpeller tout spécialiste en droit de la propriété intellectuelle ou en droit des nouvelles technologies. C’est pour cette raison que je me permets d’apporter ma contribution sur cette affaire.

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Le Téléphone mobile, avec son fort taux de pénétration qui est de l’ordre de 45 % au Sénégal, se présente aujourd’hui comme une solution incontournable de paiement et de transfert d’argent dans les pays du tiers monde où l’accès à certaines zones est rendu difficile, faute d’infrastructures. C’est cette réalité du terrain qui est à l’origine de l’innovation consistant à utiliser le mobile comme outil de paiement et de transfert d’argent.

En réalité l’idée est née au début des années 2000 dans les cercles de réflexion du GSM Association qui regroupe les plus grands Groupes de télécommunications du monde dont Orange.

Partant de là, les opérateurs de télécommunications se sont lancés dans des expériences de mobile paiement et de mobile transfert aussi différentes les unes des autres. Certains utilisent une technologie déjà éprouvée dans le secteur des télécommunications notamment les SMS, alors que d’autres, comme Orange ont préféré développer un système plus complexe et sécurisé qui fait appel à une création monétaire contrôlée par une Banque partenaire.

Aujourd’hui que le paiement et le transfert d’argent par le téléphone mobile atteignent leur vitesse de croisière dans certains pays, notamment le Kenya avec la formule MPesa de Orascom, au Sénégal, certaines personnes cherchent à s’approprier non pas une solution de transfert d’argent breveté auprès de l’Organisation Mondiale de la propriété Intellectuelle (OMPI), mais une simple idée qui repose sur l’utilisation du téléphone mobile comme support pour le transfert d’argent.

La lecture de l’article en question poussera très certainement les lecteurs à se poser les questions suivantes :

• Monsieur Niane a-t-il obtenu de la part de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) un brevet portant sur la solution de transfert d’argent par SMS?
• Et enfin quelles sont les conditions de délivrance d’un brevet par l’OMPI ?

Pour avoir mené diverses études sur le sujet depuis ses balbutiements, je me permets d’apporter des éclaircissements nécessaires sur cette affaire.

D’un point de vue strictement juridique, une simple idée ne peut pas faire l’objet d’un brevet (A) et sur le plan conceptuel, l’idée de M. Niane est différente de la solution proposée par Sonatel Mobiles (B)

A- L’INOPPOSABILITE DE L’IDEE DE M. NIANE A SONATEL MOBILES D’UN POINT DE VUE JURIDIQUE

• Une simple idée n’est pas brevetable

La solution de transfert d’argent par le mobile dont fait état l’article de la Gazette repose sur une simple idée. Les spécialistes du droit de la propriété intellectuelle savent que le brevet protège un procédé de fabrication, et pas une simple idée. Si M. Niane a eu une idée comme n’importe quelle ingénieur en télécommunications, ou encore chef de produit mobile a pu en avoir sans en demander la protection, il n’a pas mis en place un procédé technique. C’est pourquoi il est affirmé en droit de la propriété intellectuelle que « les idées par essence et par destination sont de libre parcours » .

L’idée décrite dans le journal et dans les différents éléments contenus dans le dossier fait appel à des procédés déjà connus et développés par d’autres personnes, notamment le téléphone mobile, les cartes de recharges, les cartes sim ou puces. Qu’elle est la part de l’auteur dans l’assemblage de ces différents procédés si ce n’est que d’avoir une idée de les utiliser à des fins de transfert d’argent?

• La solution de transfert d’argent dont fait état la Gazette n’est pas originale

A supposer que M. Niane a développé un procédé technique permettant d’effectuer un transfert d’argent par le mobile, il doit pour aboutir à sa brevetabilité réunir trois (3) critères essentiels :

1- La nouveauté : le procédé ne doit pas avoir été antérieurement porté à la connaissance du public par quelque moyen que ce soit;

Le Sieur NIANE ne peut se prévaloir de ce critère par ce que la solution de transfert d’argent via le téléphone mobile date bien avant la demande de brevet déposée en 2004. C’est en effet, au courant de l’année 2002 que l’idée a germé au sein du GSMA, association qui regroupe les plus grands opérateurs du monde y compris France Télécom dont Sonatel est affiliée.

Le transfert d’argent existe déjà dans plus de cent (100) pays à travers le monde. Tous les grands opérateurs téléphoniques ont mis en place ou sont entrain de développer une solution de transfert d’argent via le mobile. C’est le cas du Sud africain MTN, de Safaricom au Kenya, du norvégien Telenor actif en Asie ou encore le Groupe Orange dont fait partie Sonatel mobiles.

2- L’inventivité: le procédé ne doit pas paraître évident ou connu par rapport à l’état de la technique pour une personne compétente dans le domaine considéré;

3- L’applicabilité : le procédé doit pouvoir faire l’objet d’une application industrielle.

Pour ces diverses raisons, M. Niane n’est pas fondé à se prévaloir d’un quelconque brevet d’invention opposable à Sonatel Mobiles. A ce titre, il faut préciser qu’aucune organisation ne lui a octroyé un brevet. Monsieur Niane dispose d’une simple attestation de dépôt qui est délivré à tout déposant d’une demande de brevet, que son procédé soit brevetable ou pas. C’est pour cette raison que le brevet n’est opposable aux tiers qu’à partir de sa publication dans le bulletin de la propriété intellectuelle et non à partir du dépôt.

L’exigence de ces trois critères nous permet d’affirmer que Monsieur Niane n’a pas mis au point un précédé technique pouvant lui permettre de bénéficier d’un brevet.

B- L’INOPPOSABILITE DE L’IDEE DE M. NIANE A SONATEL MOBILES D’UN POINT DE VUE CONCEPTUEL

La solution de paiement et de transfert d’argent de la filiale mobile de Sonatel, identique à celle de Orange Cote d’Ivoire, pour voir été développée par les mêmes équipes, est exclusive de toute autre solution développée en matière de mobile paiement ou transfert. Même si la solution de M. NIANE venait à être brevetée, il ne saurait l’opposer à Sonatel Mobiles sur le terrain de la contrefaçon car le procédé mis en place par celle-ci n’est en rien pareil à celui qu’il a mis en œuvre.
En effet, Sonatel Mobiles utilise une monnaie virtuelle reconnue et émise par une banque alors que l’idée de M. NIANE repose sur l’utilisation des cartes de recharge de l’opérateur mobile.

Il existe de par le monde une diversité de solutions de paiement ou de transfert par le téléphone mobile et aucune d’elles n’a fait l’objet d’un dépôt de brevet. C’est ainsi que la solution Movo de la Caisse d’Epargne repose sur une solution de transfert par SMS, alors que celle de MTN passe par une banque. Nous pouvons comprendre que la plateforme technique permettant de gérer les paiements ou les transferts puisse faire l’objet d’un brevet mais pas l’idée dans son ensemble.

Monsieur Niane, dans l’intérêt de la science et de la profession gagnerait à :

– décrire le procédé technique qu’il a mis en place ;

– dire quel est l’avis donné par l’OMPI sur la brevetabilité de son invention, établi dans le rapport de recherche préliminaire ;

– démontrer en quoi la solution de Sonatel Mobiles est une contrefaçon de son procédé ;

– expliquer, pourquoi attendre que Sonatel Mobiles lance son projet de Mobile paiement et de transfert d’argent pour l’attraire en justice alors que les autres opérateurs qui l’ont déjà lancé dans le monde ne sont pas inquiétés par Mr Niane ?

En principe, une personne titulaire d’un brevet d’invention ne saurait laisser subsister une telle violation de ses droits dans le monde.

Depuis le boum des TIC, nous notons une promptitude de certaines personnes à attaquer les sociétés de renom pour exercer un chantage arguant de la violation de leurs droits. C’est ainsi que les noms de domaines de ces sociétés sont réservés par des cybersquateurs, alors que d’autres se permettent de brandir des pseudo droits sur des innovations avec pour seule finalité de les monnayer. Ces personnes généralement ne montrent aucune compétence dans le domaine considéré pouvant prouver leur qualité « d’inventeur »
De telles pratiques ne prospérant plus ou difficilement en Europe, certains seraient peut être tentés de les glisser sur le terrain africain où malgré l’existence des textes de l’OAPI, de tels sujets sont rares.

C’est pourquoi nous pensons qu’afin de protéger les opérateurs économiques et les vrais déposants de brevet, les Etats africains et l’OAPI gagneraient à durcir la répression de telles attitudes qui ne peuvent que retarder l’émergence de l’Afrique dans le domaine des TIC en faisant perdre leur temps et leur énergie en ceux qui en sont les vrais locomotives.

SAMBA DIOP
Expert en droit des TIC
www.teknolex.com

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