Yaya Abdoul Kane, Ministre des Télécommunications et des Postes : ‘’Nous avons pris la décision de réviser le code des télécommunications’’
Le contrôle des opérateurs de téléphonie, les décrets d’applications dans le secteur des télécoms, l’externalisation, la 4G ainsi que la protection des données, rien n’a été négligé. Le ministre des Postes et des Télécommunications Yaya Abdoul Kane s’est exprimé sur tous ces sujets. Sur chaque question, il a révélé l’état d’avancement et la position du gouvernement, particulièrement dans le contrôle et l’externalisation.
Le problème du contrôle des opérateurs s’est posé il y a quelques semaines. Un décret est censé résoudre le problème. Est-ce qu’il a été signé ?
Avant de répondre à votre question, je voudrais revenir sur l’affaire des contrôles. Vous savez, à un moment donné, le Sénégal avait instauré une taxe sur les appels entrants. Et la diaspora, lors de la campagne électorale, avait demandé au candidat Macky Sall de revoir cette mesure une fois qu’il accéderait au pouvoir. Elle se plaignait du coût élevé des tarifs des appels entrants. Quand le président de la République est arrivé, je pense que l’un des premiers décrets qu’il a signé était celui qui supprimait la surtaxe sur les appels.
Mais nous avons décidé de faire le contrôle. Toutes les donnés que nous avons dans le secteur des télécommunications nous viennent des opérateurs. Ce sont eux qui déclarent à la fin de l’année par exemple leur chiffre d’affaire. En réalité, l’Etat n’a aucune visibilité par rapport à ces données-là. Nous avons dit qu’il faudra quand même que l’autorité de régulation puisse contrôler les flux de communications mais aussi la qualité des services. L’autorité de régulation a acquis les instruments nécessaires pour faire le contrôle.
Quand il s’est agit d’installer le matériel au niveau du réseau des opérateurs, certains ont accepté. C’est le cas d’Expresso, Tigo et Hayo un consortium qui a une licence à Matam. Mais Orange avait refusé sous prétexte qu’il y a un vide juridique, qu’il n’y avait aucune base légale qui autoriserait l’autorité à ce contrôle. C’est à cet effet que, même si nous ne sommes pas convaincus de l’argument avancé, nous avons introduit le décret qui permet à l’autorité de régulation de faire le contrôle.
Cela nous permettra, en temps réel, de connaître les volumes de communications entrants et sortants du Sénégal. Si on vous demande par exemple aujourd’hui combien les Sénégalais dépensent par jour dans la téléphonie, vous ne pouvez pas répondre à cette question. Ça nous permettra d’avoir ces informations, de maîtriser les données du secteur et de voir quelles mesures ou décisions on va prendre pour améliorer la qualité des services, la réglementation, etc.
Le décret est signé, mais est-ce que l’ARTP a déjà installé son matériel chez Orange ?
L’Artp avait déjà installé le matériel chez les trois opérateurs que j’au déjà cités ; même si c’est une phase test. Puisque le décret a été signé et transmis, ils vont faire ce contrôle là dans les meilleurs délais. D’ici quelques temps, nous pourrons, en temps réel, avoir toutes les données. Nous allons après confronter ce que l’Artp a recueilli comme données aux déclarations des opérateurs.
Vous avez dit tantôt que le premier décret pris par le président a été de supprimer la taxe sur les appels entrants. D’aucun disent que les opérateurs continuaient à prélever la surtaxe. Avez-vous évalué le préjudice ?
Ce que je peux dire, c’est que nous avons constaté que malgré la suppression de la surtaxe, il n’y a pas eu une baisse réelle des coûts. Certains nous disent même qu’il y a eu une hausse. Orange a dit qu’il s’agit d’un repositionnement des taxes en opérateurs, mais le directeur de l’Artp avait dit que cela pourrait entrainer une légère hausse.
Le constat, au-delà de ce cas particulier, c’est que les décrets sur le secteur des télécoms ne sont pas sortis. Qu’est-ce qui se passe ?
Cela est un problème général. Il n’est pas propre au secteur des télécoms. L’Etat a d’ailleurs entrepris des mesures dans ce sens. Le constat est qu’au Sénégal, il y a un déphasage entre l’adoption des lois et la signature des décrets d’application. En ce qui concerne le secteur des télécoms, le code des télécoms a été voté en 2011, mais le décret dont on vient de parler est le premier qui est signé. Il y avait un décret unique qui devrait faire l’objet d’une signature.
Quand on est arrivé, puisque nous avons constaté qu’il y a eu un problème pour l’application de ce décret… il faut le constater aussi parce que ça demande énormément de temps pour tout étudier. Nous avons scindé le décret en plusieurs parties pour régler les questions qui nous semblaient urgentes comme le problème du contrôle. Et nous avons relancé la concertation avec les différents acteurs. On a envoyé le décret à tout le monde, ils ont fait des observations que nous avons intégrées. Celui-là est signé et trois autres sont dans le circuit. J’espère qu’ils seront signés bientôt.
Mais au-delà de cela, nous avons aussi pris la décision de réviser le code des télécommunications, l’évaluer pour voir s’il y a des questions qui n’ont pas été prises en compte ou pour avoir s’il y a d’autres mesures déjà prises et qui devront faire l’objet de révision. C’est le cas par exemple de l’externalisation qui pose problème. Sur cette question, il y a un vide juridique total. Il faudra donc que nous poussions réviser cette loi pour pouvoir l’adapter au contexte. Vous savez que c’est un secteur qui évolue très vite. Nous allons donc tout faire pour que les décrets soient signés, puisque c’est tout le secteur qui en souffre. Les trois dans le circuit sont par exemple les décrets relatifs à l’organisation et au fonctionnement de l’Artp, l’exploitation des réseaux, les problèmes d’interconnexion. Ce sont des décrets qui traitent de questions urgentes.
Est-il vrai que le ministère lui-même est souvent bloqué du fait de la non-signature de ces décrets ?
Je ne peux pas parler de blocage, mais j’avoue que ça pose un problème dans le secteur de façon général. Je vous ai cité tout de suite l’externalisation mais également la question du contrôle.
Vous avez évoqué l’externalisation en parlant de vide juridique total. Peut-on dire donc les lois ne permettent pas à l’opérateur de licencier ses travailleurs s’ils refusent de rejoindre le partenaire ?
Il faudra préciser les choses. Il y a un volet qui concerne le ministère des télécoms. L’autre volet, c’est le code du travail qui le prévoit. Dans le cadre de l’externalisation, aujourd’hui rien n’empêche à un opérateur de procéder à l’externalisation. L’externalisation est le fait que l’opérateur confie à une structure tierce la gestion et la maintenance du réseau. Cela n’est pas interdit à priori par le code des télécoms. Mais cela n’est pas encore encadré. C’est pourquoi je vous ai dit tout à l’heure qu’il y a un vide juridique. On ne peut pas donc dire à un opérateur : vous ne pouvez pas externaliser. Le cahier des charges non plus ne le prévoit pas. Du moment qu’il y a un vide juridique, nous ne pouvons pas… mais quand même dans le cahier des charges, l’Etat veille aux emplois. Il faudrait qu’on puisse permettre à ces travailleurs, quel que soit le contexte de pouvoir préserver leur emploi. Nous voulons créer des emplois. Nous ne voulons pas donc qu’il ait des licenciements.
Lorsqu’il fallait externaliser, la direction générale de Tigo nous avait assuré qu’il ne se poserait pas de problème et qu’ils seraient même mieux traités. Mais quand les travailleurs sont venus, on a constaté qu’il y avait des problèmes. Ils disent qu’ils n’ont pas été associés au départ et que la direction générale leur avait envoyé des lettres de menace en parlant de licenciement économique. On a mis place un comité avec le ministère du travail, la direction générale (de Tigo), le collège des travailleur. Et on a travaillé sur cette question pendant des semaines. Ces négociations ont abouti à la signature partielle d’un Pv de réconciliation, parce qu’il y avait des points de discorde dont notamment la création d’un structure tierce. Les travailleurs avaient suggéré à ce qu’Ericsson et Tigo créent une nouvelle structure qui va gérer ce problème. Eux, ils veulent rester liés à Tigo.
D’après les informations que nous avons eues… eux-mêmes ont eu à faire des benchmarking. Ils ont dit que dans un pays voisin quelques mois après l’externalisation, il y a eu des licenciements. Alors nous nous avions dit que le Ministère ne donnerait son accord que quand il y aura accord entre les deux parties, en attendant que nous, du point de vue juridique et réglementaire, nous puissions réviser nos textes pour encadrer ce phénomène qui est nouveau. Ils ont continué les discussions, mais apparemment, ils n’ont pas trouvé de terrain d’entente. Nous voulons que les deux parties puissent trouver un consensus parce que l’Etat ne peut pas accepter qu’il y ait des licenciements. Il y a une bataille juridique mais nous nous tenons à la préservation des emplois, la protection des données et la qualité des services, puisque tout cela est stipulé au cahier des charges.
Les données dans le secteur des télécoms sont au très sensibles en matière de sécurité nationale. Que faites-vous à ce niveau ?
C’est une question sur laquelle nous sommes en train de travailler. La cybercriminalité est devenue un phénomène mondial. Au mois d’avril dernier, le Sénégal a été invité à la Haye pour lancer avec le gouvernement néerlandais une initiative sur la sensibilisation sur la cyber-sécurité. Et j’ai été heureux de constater que notre pays est très en avance, puisque nous avons beaucoup de lois qui nous permettent de faire face. Et nous avons prévu de mettre en place un centre d’alerte et de veille qui va gérer ces questions.
La 4G a été arrêté après une période test. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
Il y a un appel d’offres qui a été lancé par l’autorité de régulation. Ils sont en train de travailler là-dessus pour un dépouillement. Je pense que très bientôt ils vont sélectionner une structure qui va les accompagner. Nous souhaitons d’ici la fin de l’année pour octroyer des licences.
Source : L’Enquête