« Les clients ne se bousculent plus devant mon télécentre. Les factures sont payées difficilement les fins du mois. Je passe la journée à regarder de gauche à droite dans l’espoir d’entendre la voix d’un client. C’est très dur. » Ainsi se lamente Seyni Moussa, 36 ans gérant de télécentre au grand marché de Niamey, la capitale du Niger. Dans cette rue où il y a deux ans se dressaient une dizaine de télécentres privés, aujourd’hui seul celui de Seyni Moussa n’a pas fermé sa porte. « Je ne tarderai pas à suivre les autres », a-t-il cependant confié.
Depuis quelques années, à Niamey et à l’intérieur du pays, un vent mauvais souffle sur les télécentres. A cause de la rareté des clients, beaucoup de télécentres ont fermé boutique. Ceux qui continuent encore à travailler le font avec beaucoup de peine. La grande majorité des promoteurs de ces télécentres qui ont fermé boutique se plaignent de la baisse des recettes. « Les recettes mensuelles ne me permettent pas de couvrir les dépenses de fonctionnement de mes deux télécentres qui s’élèvent 250 000 FCFA. Quand ça marchait bien, j’arrivais à surmonter toutes ces dépenses jusqu’à faire des bénéfices. Durant trois mois, je n’ai pas réalisé 100 000 FCFA de recettes. J’ai été obligé de mettre la clé sous la porte », raconte Salissou Garba, 42 ans, promoteur de télécentre privé.
Comme du beurre au soleil
Cette mort des télécentres n’est pas l’apanage du Niger. Au Sénégal aussi, des gérants de télécentres ont mis la clé sous le paillasson. Dans ce pays, le secteur n’est plus rentable. Les télécentres ont fondu comme du beurre au soleil. Les gérants se lamentent, les agents qui travaillent se sont retrouvés au chômage. Ceux qui n’ont pas fermé se battent ardemment pour ne pas disparaître. De 2000 à 2005, c’est environ 74 202 télécentres qui ont été créés au Sénégal pour 107 216 lignes téléphoniques. Selon des informations fournies par les exploitants des télécentres, 130 télécentres en moyenne ferment par mois dans ce pays. Une situation qui met au chômage plus de 3000 personnes chaque année.
Au Mali, la situation n’est pas plus reluisante, les télécentres disparaissent en chaine. Les promoteurs évoquent la question de la baisse constante des recettes. Ils ne parviennent plus à couvrir leurs dépenses de fonctionnement. Beaucoup de gérants se sont endettés avant de mettre la clef sous le paillasson.
L’autre handicap dont souffre ce secteur, c’est l’absence de textes réglementaires, malgré son dynamisme et le nombre important de personnes qu’il attire. De plus, il n’est pas suffisamment structuré. Les télécentres ont poussé comme des champignons en Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui ils sont en train de disparaître au même rythme.
« Difficilement 1000 francs de recette par jour »
Aujourd’hui leurs promoteurs accusent le développement de la téléphonie mobile d’être responsable de leur déclin. « Personne ne veut maintenant venir dans un télécentre pour faire des appels. Les gens préfèrent leurs téléphones portables. Ceux qui viennent, c’est juste pour des courts appels. Ou bien ils viennent pour recevoir des appels de l’extérieur. En quelque sorte, nous servons de répondeur. Je fais difficilement 1000 FCFA de recettes par jour. Avant la prolifération des téléphones mobiles, ma recette journalière dépassait 15 000 FCFA », raconte Mlle Haoua Sani, gérante de télécentre au carrefour du petit marché de Niamey.
Amadou Garba, propriétaire de 12 télécentres dans la période des vaches grasses, soutient lui aussi que l’avènement de la téléphonie mobile est responsable de la fermeture en chaîne de ces centres de services téléphoniques. De ces 12 télécentres, aujourd’hui aucun n’est opérationnel. « Chaque fin de mois, les difficultés se multiplient. Mon patron a été obligé de rendre toutes nos lignes à la Société nigérienne de télécommunication (Sonitel) et de l’informer de la fin de nos activités », a-t-il confié.
« Pourtant le prix à l’impulsion dans un télécentre est moins cher que sur le portable », explique Mme Safiatou, propriétaire de télécentre. La tête inclinée sur la table, elle brandit les factures de juillet 2011 qu’elle n’a pas encore réglées.
Ils sont nombreux, les promoteurs et travailleurs des télécentres privés qui accusent leur fournisseur principal, la Sonitel et l’autorité de Régulation multisectorielle, d’être responsables de cette situation. « Au moment de la libéralisation du secteur des télécommunications, ils n’ont pas tenu compte de la survie des télécentres », laisse entendre Abdoulaye Hassane, ancien gérant de télécentre, aujourd’hui reconverti dans la vente des cartes prépayées et la recharge électronique.
Diversifier les services
Si beaucoup de télécentres ferment en Afrique de l’Ouest, quelques-uns, dont les promoteurs sont ingénieux, résistent et font encore de bonnes affaires.
« Dans mes télécentres, j’ai une panoplie de services. Internet, vente de carte prépayée, recharge électronique, envoi de fax, service bureautique. Le client trouve beaucoup de choses chez nous. Il y a même un réfrigérateur dans tous mes télécentres où on vend des boissons fraîches sucrées », raconte Zakou Boubé, qui a vu le nombre de ses télécentres passer de 10 à 16 en l’espace de quatre ans. « C’est en diversifiant les services que j’ai pu maintenir mes affaires. Il faut innover », affirme-t-il.
Zakou Boubé n’est pas le seul à innover pour se maintenir face à la concurrence du téléphone mobile. Fati Seydou, une autre gérante de télécentre, témoigne : « En dehors des recharges électroniques, je vends dans mon télécentre des consommables informatiques. En plus j’ai fait des petites cabines en vitres où le client peut téléphoner en toute discrétion. Cela attire les clients qui ne veulent pas venir dans les télécentres à cause du manque de discrétion ».
Fati a vu son chiffre d’affaire augmenter et sa recette journalière, pour les appels, dépasse 13 000 FCFA.
Un nouveau concept
Au Sénégal, pour palier à la fermeture en chaîne des télécentres et des cybercafés, un nouveau concept, les NetServices, a été proposé par l’Organisation des distributeurs de services numériques et de télécommunication (ODSENT). « Destinés à remplacer les télécentres et les cybercafés », les NetServices sont présentés comme « plus rémunérateurs » et comme des structures proposant des « services d’e-gouvernement, des services d’e-learning, par la distribution de modules scolaires et académiques aux élèves, et un service bureautique et d’assurance ». Toutefois, précisait Bassirou Cissé, président de l’ODSENT, qui présentait le concept en septembre 2010, ce projet n’en est encore qu’à sa phase pilote qui prévoit l’installation de 50 NetServices sur le territoire national. Bref, il faudra certainement attendre encore avant de savoir si les NetServices vont remplacer avantageusement les télécentres.
Souleymane Maâzou
Source: agenceecofin.com