Alex Corenthin, gestionnaire du nom de domaine « Sénégal » : « Le serveur-racine va améliorer le confort d’utilisation de l’internet au Sénégal et dans la sous-région »
En tant qu’un des « pères de l’Internet » au Sénégal, vous devez être concerné par la tenue d’une première réunion d’Icann à Dakar…
Au-delà d’être concerné, je suis extrêmement fier que cette rencontre se tienne au Sénégal. Ça fait des années que les Africains essaient de faire entendre leur voix, de montrer aux gens que nous existons et sommes capables de faire des choses aussi bien que les autres. Je crois que cette opportunité offerte à la communauté internationale de venir voir ce qui se passe sur le continent africain, plus particulièrement dans la zone ouest-africaine, c’est extrêmement important. Ils pourront repartir avec un autre regard sur le potentiel que nous avons sur Internet et sur les problèmes à résoudre. C’est en cela que c’est extrêmement important.
Le Sénégal a été choisi pour abriter un serveur-racine. Quel est le rôle et l’utilité de ce genre d’infrastructure ?
Avec quelques amis, nous sommes à l’origine de ce serveur-racine qui est, d’ailleurs, aujourd’hui, dans mon bureau. Internet, en fait, ce n’est qu’un gros annuaire dans lequel, si vous cherchez un site, on va chercher un numéro. Alors, le serveur-racine, c’est l’annuaire mondial, c’est l’annuaire des annuaires. C’est lui qui contient toutes les adresses. L’avoir dans son pays permet d’accélérer énormément l’accès à Internet.
Cela veut dire que si vous cherchez un site, vous n’avez plus besoin de sortir du Sénégal pour aller chercher l’information. Sinon, quand on a besoin d’un site, on sort du Sénégal, aller chercher l’information vers le serveur-racine avant de pouvoir démarrer et surfer. Donc, ce serveur-racine – le premier en Afrique de l’Ouest et du Centre et le troisième sur le continent – va améliorer le confort d’utilisation de l’Internet au Sénégal et dans la sous-région. Le principe, c’est que l’Afrique doit être indépendante des autres serveurs qui se trouvent dans les autres pays.
On évoque souvent les enjeux financiers liés aux noms de domaine pour dire que l’Afrique risque d’être laissée en rade dans la libéralisation de ces noms de domaine. Le coût d’un nom de domaine est-il aussi exorbitant que le laisse penser ce genre de déclaration ?
L’Internet est organisé de deux façons. Il y a les noms de domaine nationaux dont les coûts et les possibilités d’accès dépendent de chaque pays. Par exemple, pour avoir un nom de domaine .sn, cela dépend de la réglementation du Sénégal.
Maintenant, au-delà d’un pays, il y a les noms de domaine génériques gérés par Icann. Et lors de ses dernières délibérations, Icann a décidé de libéraliser ces noms de domaine génériques, compte tenu des importantes possibilités de business (commerce électronique) qu’elles offrent. Ces noms de domaine seront désormais en vente, c’est-à-dire que celui qui veut un nom de domaine international va l’acquérir, et c’est à partir de là que ça devient cher. A partir de ce moment, l’Afrique risque d’être désavantagée dans la mesure où nous n’avons pas beaucoup de moyens comparés aux pays riches pour qui ce ne sera sûrement pas des coûts insurmontables.
Pensez-vous, quinze ans après l’arrivée d’Internet dans notre pays, que les Sénégalais sont maintenant bien imprégnés de cet outil ?
Les Sénégalais sont très férus de Tic. Ils savent les avantages, les intérêts et les risques. J’en veux pour preuve le fait qu’Internet est devenu, aujourd’hui, un outil de travail (et non pour s’amuser) dans les bureaux, les universités, etc. Les sociétés privées qui vendent des sites web savent aussi que cet outil sert à se faire valoir et à travailler. Je ne parle pas du mail sans lequel on ne peut plus travailler. Globalement, le Sénégalais sait quelle est l’intérêt d’Internet.
Le problème, c’est est-ce qu’il a les moyens de l’accès ?
Là, il y a encore énormément de choses à faire, peut-être moins dans les villes, mais dans les campagnes. Il s’agit là d’un aspect sur lequel on doit travailler encore. Et je pense qu’on peut commencer par le secteur de l’éducation : les écoles, les universités, etc., doivent toutes pouvoir donner accès à l’Internet.
Il y a aussi la question des contenus…
Comme on dit, l’appétit vient en mangeant. C’est en ayant accès que l’on peut valoriser les contenus. Ce qui pose aussi la question des marchés. Si vous voulez offrir un contenu, il faudrait que votre public puisse y accéder. C’est un problème de marketing. S’il y a un marché potentiel, le contenu va suivre. Plus il y a d’utilisateurs connectés à Internet, plus il y aura des développeurs pour mettre à leur disposition des contenus.
Propos recueillis par Seydou Ka et Omar Diouf
Source : Le Soleil