La tension monte entre les dirigeants de France Télécom et l’Elysée sur le dossier brûlant de l’investissement dans la fibre optique, qui conditionne la généralisation de l’Internet à très haut débit dans l’Hexagone. Didier Lombard, le PDG de l’opérateur historique, a vu au moins deux fois des membres du cabinet de Nicolas Sarkozy au cours des derniers jours. Motif de ces convocations répétées : connaître la position des dirigeants de l’opérateur sur le déploiement des réseaux très haut débit. Ou, plutôt : « L’Elysée a fait comprendre à France Télécom quelle était sa stratégie », explique un observateur. Car ce dossier, désormais piloté depuis l’Elysée, est devenu politique avec l’idée qu’une partie des recettes du grand emprunt, cher au président, soit affectée à la fibre optique. Car Nicolas Sarkozy veut faire des annonces dans le numérique à la mi-novembre. Officiellement, aucune décision n’a encore été prise à ce stade et l’Elysée consulte. Mais, officieusement, les plans de Nicolas Sarkozy seraient proches de ceux développés récemment par Nathalie Kosciusko-Morizet, la secrétaire d’Etat à l’Economie numérique, et Augustin de Romanet, le président de la Caisse des Dépôts (CDC).
« Soviétisation »
Il s’agit de créer une structure mutualisée dans laquelle les opérateurs et la CDC seraient actionnaires, qui construirait un seul réseau en fibre optique dans les zones moyennement denses en France, c’est-à-dire au-delà des 5 millions de foyers situés dans les zones denses. Cette infrastructure connecterait de 5 à 7 millions de foyers au très haut débit. Les opérateurs pourraient déployer leur réseau jusqu’à un point – regroupant environ un millier d’abonnés – à partir duquel il n’y aurait plus qu’un seul réseau. La présence de l’Etat au capital assurerait la neutralité technologique et la vision à long terme de l’aménagement du territoire, selon les défenseurs de ce réseau mutualisé.
SFR et Iliad sont à peu près sur la même longueur d’onde et se disent favorables à une telle solution. Mais France Télécom n’en veut pas. L’opérateur y voit des problèmes opérationnels et de gouvernance. Qui décidera de « fibrer » telle ville plutôt que telle autre ? L’un des dirigeants de l’opérateur a même comparé ce réseau cet été à une « soviétisation de l’économie ».
Transition plus rapide que prévu ?
Conséquence, ça coince avec l’Elysée. Après une première réunion la semaine dernière, les opérateurs télécoms rendront leurs propositions écrites d’ici à la fin de la semaine prochaine sur le meilleur moyen de développer la fibre optique. France Télécom pousserait une solution alternative. Pour l’opérateur historique, il faut découper la France en zones géographiques selon la densité de l’habitat et faire un appel d’offres par zones, afin de choisir un opérateur pour construire le réseau. « Et on sait très bien qui gagnera ces appels d’offres », réagit un connaisseur du dossier. Sous-entendu : France Télécom. Ce qui reviendrait à recréer un nouveau monopole. Les pouvoirs publics hésiteraient donc sérieusement à mettre en oeuvre cette proposition. Pour l’instant, il n’existe pas de consensus entre l’opérateur historique et le gouvernement. L’optimum économique du déploiement du très haut débit au niveau national n’est pas forcément celui des opérateurs…
Là commence le bras de fer. D’un côté, l’Etat, garant de l’intérêt général, est actionnaire à hauteur de 27 % de France Télécom et nomme le PDG de l’opérateur. De l’autre, Didier Lombard n’a jamais caché que sa décision d’investir ou pas dans la fibre optique dépendrait des conditions économiques qui lui seront faites par le régulateur. Il y a peu de chances qu’il accepte de changer sa position. D’autant qu’il veut défendre l’emploi des 50.000 salariés de France Télécom qui travaillent actuellement sur le réseau national. Le tout dans un climat social tendu après vingt-trois suicides en dix-huit mois.
Que décidera l’Elysée ? « Vu les blocages, si les propositions de France Télécom ne plaisent pas, alors il pourrait y avoir une transition plus rapide que prévu chez l’opérateur », pronostique-t-on à Bercy. Pour mémoire, Stéphane Richard, proche de Nicolas Sarkozy, a été parachuté début septembre chez l’opérateur historique pour prendre la succession de Didier Lombard en 2011 …
GUILLAUME DE CALIGNON ET SOLVEIG GODELUCK
[readon1 url=”http://www.lesechos.fr”]Source : lesechos.fr[/readon1]