Le débat fait rage aux Etats-Unis. Il oppose les opérateurs télécoms – qui investissent dans les réseaux et veulent en recueillir les fruits en vendant en priorité leurs contenus et leurs services – aux acteurs de l’Internet, qui ont grandi grâce à cette neutralité. En début de semaine, le régulateur américain a même édicté six principes clefs pour garantir l’égalité d’accès aux contenus, quel que soit le fournisseur d’accès à Internet. En Europe, les discussions commencent à peine. En France, mardi, le gendarme des télécoms, l’Arcep, a entendu sur ce thème les représentants de l’Association des services Internet communautaires (Asic) regroupant PriceMinister, Google, eBay, Yahoo!, Microsoft ou encore AOL. « Nous leur avons expliqué qu’en France les fournisseurs d’accès proposent également des offres de contenus et de services, explique Benoît Tabaka, directeur des affaires juridiques et réglementaires chez PriceMinister. Du coup, ils peuvent être tentés de discriminer l’accès à certains services concurrents au profit des leurs. »
La neutralité, un « mythe » ?
Pour éviter que ce type de problèmes ne se reproduise, les acteurs de l’Internet militent pour la mise en place de trois règles : premièrement, un principe de non-discrimination dans l’accès à des sites et services ; deuxièmement ,une transparence pour le consommateur, qui doit savoir où et pourquoi l’opérateur gère son trafic ; troisièmement, un arbitrage impartial des litiges juridiques. Sur ce dernier point, l’Asic demande notamment que le gendarme des télécoms puisse agir en cas de conflits entre opérateurs et acteurs de l’Internet. Ces trois règles pourraient être intégrées dans la directive européenne paquet télécoms, qui doit être voté au Parlement en octobre.
De l’autre côté, les opérateurs télécoms ne veulent pas de ces règles du jeu. Alors qu’ils s’apprêtent à investir massivement dans les réseaux de très haut débit, ils estiment devoir gérer seuls leur trafic pour éviter des engorgements sur l’Internet, tant fixe que mobile. « Tout usage susceptible de dégrader les services ou les options est interdit » , note Bouygues Telecom dans ses conditions générales de services. Ces conditions sont les mêmes chez Orange et SFR. Ainsi, les abonnés à Internet sans fil grâce à une clef 3G ne peuvent utiliser le téléchargement en peer-to-peer, l’accès aux Newsgroups et les services de voix sur Internet. Dans une lettre envoyée au printemps dernier à l’Arcep, le président de l’UFC-Que Choisir estimait ainsi que « dans le domaine du mobile, la neutralité du net est un mythe ». Dans le fixe, YouTube négocie actuellement avec les studios hollywoodiens pour vendre aux Etats-Unis de la vidéo à la demande à 3,99 dollars par film. En utilisant les réseaux des Comcast, ATT et autres Verizon, qui ont massivement investi dans la fibre optique et ont leur propres services de VOD. Ils peuvent être tentés de donner l’accès à leurs services en priorité à leurs abonnés.
En Europe, en début d’année, la commissaire européenne à la Société de l’information, Viviane Reding, a déclaré que « la neutralité d’Internet doit être garantie » . Mais tout le monde n’est pas d’accord : outre-Manche, Stephen Carter, l’ancien ministre des Télécoms, qui a rédigé le rapport « Digital Britain », pense que « la neutralité de l’Internet pourrait empêcher l’innovation » . Mais Stephen Carter est l’ancien dirigeant du câblo-opérateur NTL. D’où sa position très proche de celle des opérateurs télécoms. Le débat ne fait que commencer.
Quelques cas de violation de la neutralité du Net
– 2007 : le fournisseur d’accès à Internet Neuf Cegetel bloque à ses abonnés l’accès au site de partage de vidéo Dailymotion. Le site publie une annonce en demandant aux abonnés de contacter le service clientèle de Neuf Cegetel pour obtenir des explications. – 2008 : le câblo-opérateur américain Comcast abaisse le débit de ses abonnés qui utilisent le service de téléchargement illégal BitTorrent. L’autorité des télécommunications, la FCC, demande à l’opérateur américain de cesser cette pratique pour respecter la neutralité de l’Internet.
– 2008 : le câblo-opérateur canadien Rogers redirige les internautes sur ses propres pages Internet lorsqu’ils entrent une adresse Web invalide.
Le navigateur affiche une page de publicité en lieu et place du message « Adresse introuvable ».
Bras de fer entre géants de l’Internet et opérateurs télécoms En Europe, le débat sur la « neutralité de l’Internet » – l’accès de tous aux mêmes services et contenus avec le même niveau de qualité – se développe. Le régulateur français a reçu les représentants des entreprises du Web.
[readon1 url=”http://www.lesechos.fr”]Source : Les Echos[/readon1]