Changer d’opérateur en gardant son numéro: La portabilité dans le réseau des divergences entre opérateurs
Elle avait fait le “buzz” l’année dernière au mois de septembre, mais force est de constater que la portabilité
n’est pas encore une réalité au Sénégal. Cela s’explique par une réticence déguisée de certains opérateurs et des hésitations de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. Depuis un temps, les choses semblent néanmoins bouger.
La portabilité : du concept à l’implémentation
C’est quoi donc la portabilité ? Sous un terme barbare qui ressemble à s’y méprendre à un néologisme, se cache néanmoins une idée plutôt simple : il s’agit de la migration du client d’un opérateur téléphonique X à un opérateur Y tout en gardant le même numéro de téléphone.
L’idée n’est pas récente, mais elle fait son chemin. En Europe, en Amérique, en Asie ou, plus généralement, dans ce que l’on peut appeler les “pays développés”, la portabilité existe de manière effective depuis de nombreuses années. Sur le continent africain, à ce jour, seuls l’Égypte, la République sud-africaine, le Nigeria et le Ghana disposent de ce service.
C’est que la portabilité est bel est bien un service. En France, pays sur lequel le nôtre a calqué la majeure partie de ses lois et règlements et qui nous inspire, la portabilité est régie par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), dont l’équivalent sénégalais est l’ARTP. C’est donc à l’Agence de régulation des télécoms et des postes que revient la mise en place de la portabilité au Sénégal.
Dans l’article 2 du décret n° 2005-1183 du 6 décembre 2005 relatif à l’interconnexion des réseaux et services de télécommunication ouverts au public, il est stipulé que la “portabilité des numéros” se définit comme “la possibilité pour un usager d’utiliser le même numéro d’abonnement, indépendamment de l’exploitant chez lequel il est abonné, et même dans le cas où il change d’exploitant ou de localité géographique”.
Il s’agit-là de deux des trois formes existantes (opérateur, géographique et de service) de portabilité. En gros, vous pouvez demander à changer d’opérateur à volonté et en toute liberté, sans avoir de compte à rendre à votre actuel opérateur ou à payer d’amende. Cela est aussi vrai si vous déménagez physiquement dans un lieu où vous avez des problèmes de réseau… Votre opérateur est alors tenu de céder votre numéro à un autre opérateur qui dispose, dans votre nouvelle zone d’habitation, d’une couverture normale.
À quoi sert-elle ?
Pour en revenir aux grandes lignes, il est nécessaire de s’appesantir sur les avantages que ce service peut procurer aux usagers, c’est-à-dire aux utilisateurs des réseaux mobiles Orange, Tigo et Expresso qui se partagent le marché sénégalais.
Si la portabilité est, depuis 2000, une recommandation de l’Union internationale des télécommunications (UIT), cela se justifie par plusieurs raisons dont la plus importante est, sans équivoque, le fait qu’elle (la portabilité) est garante d’une concurrence saine et dynamique entre les opérateurs.
Eh oui ! La portabilité est un levier que pourrait actionner le régulateur pour réglementer la manière dont doivent se faire, par exemple, les fameuses promotions dont raffolent les clients des opérateurs de téléphonie. Car elle permet au client de mieux se retrouver dans la pléthore d’offres à laquelle il est régulièrement confronté. Et, en plus, il pourra se faire une idée exacte du prix réel de la minute de communication puisque ce dernier aura alors accès à toutes les offres disponibles.
En donnant la possibilité aux clients de changer d’opérateur mobile tout en gardant leur numéro d’appel, l’ARTP adopterait ainsi une nouvelle démarche visant à redonner le pouvoir au consommateur qui, jusqu’à présent, se contentait de subir les règles du jeu de son opérateur… ou de ses opérateurs (les fameux portables à deux puces).
Concurrence
Sur le terrain, en ce qui concerne le Sénégal, il y a déjà eu plusieurs études conduites sur la faisabilité et les modalités d’une mise en place de la portabilité. La 1ère fut conduite par CICODEV, Institut panafricain de recherche, de formation et d’action pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement, en 2009. Les résultats avaient été remis à l’ARTP au courant de l’année 2012, parallèlement au lancement d’une campagne nationale sur la portabilité.
Il s’agissait de faire en sorte que les Sénégalais puissent “bénéficier plus largement de la concurrence dans un marché transparent et ouvert car ils peuvent naviguer entre les opérateurs en toute liberté selon les avantages qui s’offrent d’un opérateur à l’autre” (extrait du communiqué de presse de la CICODEV datant du 5 septembre 2012).
Les conclusions de cette étude indiquaient alors que “ces évolutions ne se justifiaient pas dans le cas du Sénégal pour cause de maturité du marché”. Aujourd’hui, cela ne semble plus être le cas. Au contraire !
Comment ça marche ?
Si le concept de la portabilité est, comme souligné plus haut, assez simple, on ne peut malheureusement pas en dire de même pour l’aspect technique de la chose. Étant donné qu’au Sénégal ce service n’est pas encore effectif, on se bornera donc à une explication théorique.
La norme internationale veut que lorsqu’un client souhaite garder son numéro tout en changeant d’opérateur, il entre en contact avec son futur opérateur pour que ce dernier soumette une demande de portabilité de numéro à son opérateur actuel. Cela porte le nom de “Recipient led porting” (NDLR : Port récipiendaire Led). Après avoir obtenu l’aval de ce dernier, le numéro est migré de l’ancien opérateur au nouveau, de même que les informations client y étant associés. Pour simplifier, on pourrait donner l’exemple d’un client identifié “Ndiaye, 23 ans, Orange” qui deviendrait “Ndiaye, 23 ans, Tigo”.
Du point de vue technique, à présent, on considère que l’aspect le plus significatif de la portabilité mobile réside dans la façon par laquelle les appels, SMS et MMS (messages images) sont transférés vers un numéro une fois qu’il est exporté d’un opérateur à l’autre. Il y a diverses façons de transférer du contenu vers le nouvel opérateur mais la norme internationale voudrait que cela se passe via l’utilisation d’une base de données centrale où sont conservés tous les numéros dont la portabilité a été effectuée et dont tous les opérateurs posséderaient un clone, en interne.
Cet “annuaire” est appelé Central Data Base (ou CDB) en anglais.
Ce qu’en dit la loi
La loi 2011-1 du 24 février 2011 portant du Code des Télécommunications dit, en son article 86, que “l’Autorité de régulation (c’est-à-dire ARTP) est chargée de veiller à la définition et la mise en oeuvre des conditions et modalités de la portabilité de numéros et tranche les litiges y afférant.”
Pour la mise en oeuvre de la portabilité des numéros, l’autorité de régulation, en liaison avec les opérateurs, doit procéder à des études de marché pour évaluer au préalable les besoins des consommateurs en matière de portabilité. Cela afin d’identifier les catégories de consommateurs susceptibles de demander ce service.
Toujours en son article 87, la loi stipule qu’en cas de besoin identifié, “l’Autorité de régulation met en place un dispositif adapté pour permettre au consommateur de conserver son numéro”. En clair, si le besoin de portabilité est avérée, l’ARTP a presque obligation de trouver les moyens de mettre ledit service en place.
L’ARTP opte pour la concertation et se fixe un plan d’action de 19 mois
Lorsque l’on évoque le concept de la portabilité, tous les yeux sont donc rivés sur l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP). C’est ainsi que lors d’une séance d’information et d’échange avec les associations de consommateurs, tenue le lundi 29 avril 2013, l’ARTP a dévoilé son plan d’action pour le projet de mise en oeuvre de la portabilité au Sénégal.
Ce plan s’étalerait sur près de 19 mois, de mai 2013 à janvier 2015 et comporterait des phases d’étude de la faisabilité technique, économique et juridique du procédé. Il prévoit, en outre, une large consultation de toutes les parties prenantes, à savoir opérateurs, consommateurs, État.
Les associations de consommateurs qui ont assisté à cette rencontre se sont réjouies de la “réactivité” de l’ARTP, de même qu’elles ont salué la démarche inclusive et consensuelle qui sous-tend le plan. Toutefois, elles entendent rester vigilantes sur la concrétisation de ce service au vu des réticences attendues et probables de certains opérateurs attachées à leurs prérogatives.