Le « cloud computing », ou « informatique dématérialisée » en français, a suscité beaucoup d’intérêts à l’occasion du Forum ouest-africain sur la gouvernance de l’Internet (WAIGF) qui s’est déroulé en août 2010 à Dakar (Sénégal). D’aucuns diront que la chose n’est guère nouvelle en Afrique au regard de l’utilisation intensive, par les individus, mais aussi par les entreprises comme par l’Etat, des messageries électroniques comme Yahoo, Hotmail, Gmail, etc. et des applications qui leurs sont associées (Google documents), des outils du Web 2.0 (Flickr, Youtube, Slideshare, etc.) ainsi que de nombreux sites web hébergés hors du continent africain. Cependant, la question prend aujourd’hui une toute autre dimension face à l’offensive menée en Afrique par de grandes multinationales comme Microsoft et HP pour vendre le cloud computing présenté comme « la solution » du futur. Certes, cette technologie présente des d’avantages en termes d’externalisation et de travail collaboratif, mais elle ne saurait être adoptée par les Africains sans qu’ils aient murement réfléchi à ses multiples implications. En effet, que l’on parle d’informatique dans le nuage, dans les nuages ou de nuages d’ordinateurs, il n’en reste pas moins que les ordinateurs en question appartiennent à des sociétés qui n’ont rien de virtuelles, dont les propriétaires sont bien réels et qui sont localisées quelque part même si pour les utilisateurs finaux les applications, les plateformes et les données peuvent apparaître comme déterritorialisées. Les asymétries technologiques, économiques et financières étant ce qu’elles sont, les services de cloud computing sont principalement proposés par des sociétés situées dans les pays développés, l’infrastructure technique étant quant à elle, souvent localisée dans les pays émergents pour des raisons de coûts. Si cette logique n’est pas remise en cause, cela signifie que demain, les citoyens africains mais surtout les entreprises, les organisations et les états qui s’aventureront à utiliser ce type de solutions, seront totalement dépendants pour la création, le stockage, l’utilisation et le partage de leurs données de firmes avec lesquelles ils seront liés par de simples contrats commerciaux et face auxquelles ils n’auront guère de recours en cas de problème. En termes de sécurité, ils ne disposeront que de peu de garanties quant au stockage de leur données, au contrôle de l’accès à ces dernières et encore moins en matière de protection de leur transit sur les réseaux entre les lieux où elles seront hébergées et ceux où elles seront utilisées. En matière de pérennité, le risque n’est pas nul que ces sociétés cessent leurs activités du jour au lendemain pour cause de faillite ou car ayant décidé d’investir dans d’autres créneaux jugés plus rentables. On peut également s’interroger sur la maintenance et le développement des applications proposées de même que sur leur compatibilité, dans la durée, avec les systèmes dont auront besoin les individus et les organisations. De plus, l’ensemble du dispositif étant distant, les utilisateurs seront fortement exposés à la cybercriminalité, sans parler des pannes, naturelles ou provoquées, d’Internet à une époque où la cyber-guerre et le cyber-terrorisme sont déjà des réalités à tel point que l’armée américaine a jugé nécessaire de se doter d’un Commandement du cyberespace. Que dire de la bande passante qui sera nécessaire pour éviter les problèmes de latence sur un continent où elle reste la plus chère du monde et où elle est très inégalement disponible d’un point de vue géographique ? L’évocation ces quelques enjeux et problèmes découlant du cloud computing, tel qu’il se pratique actuellement, montre que ce dernier, comme toute technologie, est loin d’être un simple outil utilisable en faisant l’économie d’une réflexion approfondie. Les Africains doivent donc en évaluer les risques majeurs, notamment en ce qui concerne la délocalisation hors du continent des applications et des données ayant, à un titre ou à un autre, un caractère vital. Mieux, pour ne pas être demain dépendante d’une informatique « dans les nuages », l’Afrique doit s’atteler à bâtir une infrastructure informatique (datacenters, IXP, backbone, etc.) « dans les savanes » sur laquelle elle exercera son contrôle. Avoir les pieds sur terre à l’ère de la mondialisation et de la globalisation, c’est en effet toujours avoir à l’esprit que le pouvoir, loin d’être déterritorialisé, s’exerce plus que jamais du Nord sur le Sud même à travers les nuages.
Olivier Sagna Secrétaire général d’OSIRIS [readon1 url=”http://www.osiris.sn”]Source : Osiris.sn[/readon1]