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airtelArrivé sur le continent en 2010, le groupe de Sunil Mittal n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière. Dupliquer le modèle low cost et de sous-traitance qui a fait son succès en Inde se révèle moins facile que prévu. Deux ans après son arrivée fracassante sur le continent à la suite de l’acquisition, pour 10,7 milliards de dollars (8 milliards d’euros à l’époque), de quinze filiales subsahariennes du koweïtien Zain, Sunil Mittal, fondateur de l’indien Bharti (marque Airtel), doit se rendre à l’évidence : réussir en Afrique va prendre du temps. Officiellement, l’état-major du cinquième opérateur mondial ne change rien. « Nous sommes en ligne avec nos objectifs et nous atteindrons 5 milliards de dollars de revenus fin 2013, pour une marge Ebitda [indicateur proche de la marge brute d’exploitation, NDLR] de 2 milliards », assure Tiémoko Coulibaly, directeur général des opérations francophones.

Mais sur le fond, le discours a évolué. Lors du sommet mondial des télécoms, début 2012, Sunil Mittal avouait : « Nous sommes surpris qu’en Afrique des tarifs plus bas n’augmentent pas les volumes [de communications]. Les abonnés profitent des économies pour acheter de la nourriture, pas pour parler plus longtemps [au téléphone]. » Le modèle low cost rodé en Inde aurait-il fait long feu ? Pas complètement, même si au Kenya la guerre des prix lancée en 2010 a été un échec. En dépit d’une baisse des tarifs de 80 %, sa part d’abonnés est restée stable (environ 15 %) sur un marché ultradominé par Safaricom (66 %). D’ailleurs, les observateurs s’attendent à voir l’opérateur remonter ses prix. « Sur le continent, nous avions anticipé une baisse des taxes et des impôts qui ne s’est pas concrétisée. Par ailleurs, dans beaucoup de pays, par exemple au Tchad, nous avons procédé à des ajustements parce que nous n’étions pas compétitifs », explique Tiémoko Coulibaly. Relégué en quatrième position au Ghana, l’opérateur y annonce d’importantes promotions.

EFFORTS FINANCIERS

Toutefois, le safari africain de Bharti est loin d’avoir tourné au fiasco. Les 17 filiales du groupe (voir carte) revendiquent quelque 60 millions de clients, pour un revenu dépassant 4,1 milliards de dollars lors de l’exercice achevé en mars 2012 (+ 43,7 % en un an). Elles ont en outre gagné en moyenne deux points de part de marché. Reste que leur profitabilité (marge Ebidta de 26 %) demeure largement inférieure à celle de concurrents directs comme le sud-africain MTN (45 %). Un résultat notamment plombé par les performances de Bharti au Nigeria, son plus gros marché, où l’opérateur, en troisième position, a perdu sept points de part de clientèle depuis deux ans sous la pression de ses concurrents Etisalat, Globacom et MTN.

Selon nos estimations, « les clients africains de Bharti lui coûtent plus d’argent [7,20 dollars par abonné, en incluant les amortissements] qu’ils ne lui en rapportent [6,80 dollars] », assure Guillaume Touchard, du cabinet de conseil Sofrecom. Un bilan largement affecté par les importants investissements consentis par le groupe indien, notamment pour remettre à niveau et étendre les réseaux légués par Zain. Au total, il a injecté depuis son arrivée plus de 2,8 milliards de dollars. À cela, il faut ajouter l’acquisition de licences 3G (haut débit mobile) dans plus d’une dizaine de pays, dont le montant est resté confidentiel.

Ces efforts financiers sont indispensables, sous peine de voir les réseaux se dégrader, comme au Gabon et au Nigeria, où l’ensemble des opérateurs ont été sanctionnés par les régulateurs. D’ailleurs, Tiémoko Coulibaly l’assure, « le rythme des investissements ne diminuera pas ». Peut-être un nouveau dilemme en vue pour Bharti, qui doit aussi penser à éponger rapidement une partie de sa dette s’il veut pouvoir saisir de nouvelles opportunités de développement, à l’image de la licence en cours d’attribution au Cameroun.

Pour limiter les charges liées à l’exploitation de ses infrastructures, le groupe devrait annoncer dans les prochaines semaines la création d’une compagnie dévolue à leur gestion. Sa mission sera de généraliser le partage des réseaux avec les autres opérateurs. « Nous devrions obtenir très prochainement les dernières autorisations administratives nécessaires », confirme Tiémoko Coulibaly. L’adoption massive de moteurs hybrides pour l’alimentation des émetteurs devrait aussi soulager ses comptes. S’il atteint son objectif de convertir la moitié de ses sites d’ici à la fin de 2013, il économisera 35 % du carburant actuellement utilisé pour ses 16 000 antennes.

Mais le plus gros chantier des équipes de Manoj Kohli, PDG de Bharti à l’international, est avant tout de reproduire en Afrique le modèle de sous-traitance qui a fait le succès du groupe en Inde. À la clé, des économies qui peuvent atteindre de 20 % à 30 % des activités externalisées, qu’il s’agisse de la maintenance des réseaux, du développement de services SMS ou des centres d’appels. Des partenariats ont été signés ces deux dernières années avec IBM, Ericsson, Nokia, Samsung, ZTE… « L’avantage de cette approche est surtout de nous permettre de nous focaliser sur notre coeur de métier, la commercialisation de services de téléphonie mobile. Cela va au-delà de la réduction des coûts », détaille Tiémoko Coulibaly. Reste que, en Afrique, les partenaires potentiels sont peu nombreux et qu’il est plus difficile pour eux de trouver des collaborateurs de bon niveau et, surtout, de les fidéliser. « Il faut aussi se méfier des effets pervers de cette approche, qui accroît les risques de mauvaise communication entre les équipes de l’opérateur et les prestataires », explique un consultant.

TÂTONNEMENTS

Pour le moment, ni Manoj Kohli ni Tiémoko Coulibaly ne semblent vraiment satisfaits des résultats obtenus. Pour mieux contrôler ses opérations, Bharti a d’ailleurs amorcé une centralisation des décisions au siège de Nairobi, y compris la gestion des contrats « groupe » pour l’Afrique, qui auparavant était assurée depuis l’Inde. Des tâtonnements qui se traduisent aussi par une série de nominations de patrons de filiales, par exemple au Kenya et au Tchad, et de directeurs financiers, pour le continent (basé à Nairobi) et au Gabon. La zone francophone serait en outre particulièrement scrutée, non pas en raison d’un manque de performances (plutôt supérieures aux pays anglophones), mais parce que le groupe estime ne pas avoir assez d’informations sur la manière dont elles sont réalisées.

Cette volonté de contrôle n’empêche pas Bharti de s’ouvrir petit à petit à des partenaires africains. Un contrat est ainsi en passe d’être signé avec l’ivoirien Digital Afrique, spécialiste des services SMS, qui travaille déjà pour douze filiales du géant indien sur le continent. Sans doute faut-il voir dans cette décision la volonté de mieux s’intégrer dans le tissu économique local, après avoir souvent privilégié des entreprises indiennes et des leaders mondiaux comme IBM ou Ericsson. Un besoin de tropicaliser la marque qui explique peut-être aussi la signature d’un partenariat au Congo avec Vérone Mankou, inventeur de la première tablette tactile africaine. Même si, compte tenu des changements successifs opérés dans les filiales, passées en quelques années de Celtel à Zain puis à Airtel, « le groupe a plutôt bien réussi sur le plan marketing », estime Laurent Viviez. Pour ce consultant du cabinet AT Kearney, la position de challengeur de Bharti sur plusieurs marchés importants doit aussi être un facteur d’appréciation positif des performances du groupe : « Cela prouve qu’il existe encore des marges de progression dans les prochaines années », estime-t-il. Contrairement à MTN, presque partout numéro un, qui va voir ses parts de marché reculer, immanquablement.

En République Démocratique du Congo, l’opérateur indien conserve donc son avance, avec pas moins de 42,41% d’abonnés, dans un environnement composé de six opérateurs (chiffres JeuneAfrique).

Source: direct.cd

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