L’Afrique subsaharienne est affectée par de nombreuses pathologies et souffre de manques à différents niveaux dans tous les pays. Maladies tropicales traditionnelles (paludisme, trypanosomiase; la fameuse maladie du sommeil, ebola, etc.), pathologies de la modernité (transition épidémiologique dans les grandes villes, épidémie de sida) touchent une large partie du territoire alors que le manque de ressources pour y remédier s’y fait particulièrement sentir. Face à ces défis, et contrairement à une idée reçue, des ressources financières existent. En effet, les dépenses de santé sont corrélées à la richesse des pays (les dépenses de santé représentent, dans les pays africains, environ 4% du PIB), comme l’ont montré les études empiriques de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) et ce, à de rares exceptions près, quelque soit le niveau de vie. Les dépenses de santé s’élèvent ainsi à 51 milliards de dollars en 2010 pour l’ensemble du continent Africain (soit un peu plus de 50 dollars par habitants … quand ce chiffre en moyenne, en France, dépasse les 3 000 euros).
Concernant le financement des TICs dans la santé, l’analyse du marché de la santé en Afrique montre que les patients seuls ne peuvent pas générer les revenus suffisants pour assurer la pérennité du modèle économique. En effet, sur les 51 milliards de dollars pour la santé, un peu plus d’un milliard de dollars sont consacrés aux budgets des TICs dans ce secteur (soit autour de 1 dollar par an et par habitant). Une analyse par seuil montre que ce montant se répartit de la manière suivante : 47 pays consacrent moins de 50 millions de dollars dont 9 pays moins de 1 millions de dollars. La viabilité du modèle ne peut par conséquent se restreindre aux patients. Les acteurs télécoms ont besoin des investissements de la part d’acteur tiers comme l’Etat ou encore les organismes financiers.
Au-delà de ces constats chiffrés, trois enjeux pour le secteur de la santé en Afrique sont significatifs afin de permettre l’éclosion d’un secteur de la santé plus fort. Il s’agit en fait des trois grandes pénuries de la santé en Afrique : une structure financière ; un personnel compétent en nombre suffisant ; le support d’infrastructures.
* Le financement des services santé en Afrique serait grandement facilité si un système d’assurance santé existait dans tous les pays. L’assurance santé assure une protection contre les risques financiers ; le moment du paiement est dissocié de celui des soins, ce qui encourage pour les patients l’usage des services médicaux. Il s’agit de mettre en oeuvre l’éco-système qui a permis en Europe le développement de l’accès aux soins.
* Les pays d’Afrique subsaharienne représentent 11% de la population mondiale mais portent 25% de la charge de morbidité mondiale contre 9% en Europe. Dans une inversion problématique, les ressources humaines pour la santé au niveau mondial ne sont qu’à hauteur de 3% en Afrique contre 28% sur le continent européen et le budget santé en Afrique est inférieur à 1% des dépenses mondiales dans ce domaine. Sur les 57 pays du monde souffrant d’une pénurie critique de personnel de santé, 36 se trouvent en Afrique (0,21 médecin pour 1000 habitants).
* Un troisième enjeu porte sur l’amélioration de la qualité et de la densité des infrastructures liées à la santé. Cet enjeu couvre l’ensemble de la chaine logistique de la santé et donc les centres de soin en eux-mêmes, la traçabilité des médicaments (et donc la lutte contre la contrefaçon) et l’accès aux services de santé.
Ces différents enjeux sont les défis des prochaines décennies pour la santé en Afrique. Les TICs ne permettent pas de résoudre tous les problèmes mais ils constituent bel et bien un axe novateur pour tenter d’y répondre. De manière générale, ces technologies peuvent subvenir à de nombreux besoins dans ce secteur, en améliorant l’échange de données et la communication à distance. Ainsi, les patients peuvent, avant de se déplacer, se renseigner sur le lieu / l’horaire du dispensaire ou la disponibilité des médicaments ou encore demander des conseils au médecin. De manière plus générale, à chaque maillon de la chaîne du soin, la communication à distance joue un rôle important. Le soin ne s’arrêtant pas au diagnostic, toute la chaîne doit être considérée, depuis la prévention jusqu’au traitement et à l’amélioration continue (médicaments, formation, etc.).
Plusieurs exemples concrets peuvent être donnés
* Promouvoir l’assurance santé via des services de micro-assurance ou l’automatisation des flux d’information : Il s’agit ici de mettre au niveau technologique les systèmes de mutuelles d’entreprises. Le Sénégal, avec les Instituts de Prévoyance Maladie (IPM), se lance dans cette modernisation depuis 2009. D’autres pistes sont en cours de développement. Ainsi, les services de télétransmission d’information médicale pour le suivi des maladies chroniques, les systèmes d’alertes, la gestion des urgences en lien avec un assureur ou un « assisteur » s’inscrivent dans ces logiques.
* Pallier la pénurie de personnel de santé en favorisant la télé-médecine : Les opérateurs peuvent proposer des solutions liées à la télémédecine qui compenseront en partie les manques dont souffre l’Afrique puisqu’elles permettent un accès aux soins aux populations les plus isolées tout en compensant la faible densité de médecins. Plusieurs services existent et peuvent prendre diverses formes. Prenons le cas de la téléradiologie au Mali. Ikon se base sur les TIC pour le transfert et l’interprétation des images radiologiques prises dans les centres hospitaliers régionaux. Le service Pésinet au Mali, Sénégal et Niger est une solution également mise en place en 2007 pour pallier les besoins en ressources médicales. Ce système a été développé par des acteurs privés et par des ONG /Fondation (Alcatel-Lucent, Fondation Orange Mali, BNP Paribas, Afrique Initiatives, Médicament Export et Kafo Yeredeme Ton).
* Renforcer le partage de compétences des médecins par le e-learning : La formation des personnels est aussi un moyen favorisant l’augmentation de la qualité de leurs services. Ainsi, le réseau d’information sur la santé en Ouganda, réalisé grâce à la collaboration de « SATELLIFE », l’ « Uganda Chartered HealthNet » et la faculté de médecine de l’Université Makerere, est un réseau destiné aux personnes travaillant dans le domaine de la santé. Il a été créé en 2003 mais la phase actuelle, avec les TICs en son coeur, date de 2008. Grâce au réseau de téléphonie cellulaire et via des terminaux mobiles peu onéreux, ce réseau a réduit les coûts et amélioré la qualité et l’accessibilité de l’information relative à la santé. Le cas de l’Ouganda inspire d’autres pays qui veulent développer des logiques similaires, tels le réseau d’information sur la santé du Mozambique (MHIN) et le réseau d’information et d’éducation en santé du Rwanda (RHEIN), qui en sont encore au stade de projet.
* Améliorer les infrastructures de santé : De la mise en place d’un simple numéro au déploiement d’un système d’information en passant par des applications mobiles simples, les acteurs TICs ont lancé un grand nombre de projets en Afrique afin d’améliorer les infrastructures liées à la santé. C’est ici, que les TICs peuvent contribuer à améliorer la productivité des services de santé en développant par exemple l’ensemble des services d’accès qui mis bout à bout offrent une logique de télé-assistance (accueil téléphonique, numéro d’urgence, etc.). Autre exemple, dans les hôpitaux de la capitale ou des grandes villes, en particulier en Afrique du Sud et dans le Maghreb, la mise en réseau de l’hôpital permet d’améliorer la gestion des carnets de santé, du suivi du matériel, voire de la proposition de services aux patients. Enfin, la chaîne logistique du médicament peut bénéficier de l’apport des TICs pour améliorer sa productivité, en informatisant certains flux d’information, auparavant manuels (donc lourds, lents, fastidieux et favorisant le risque de fraude).
Les freins potentiels à ces projets sont peu liés à la technologie télécom stricto sensu mais plutôt aux limites liées à l’usage, à l’accès à l’électricité et enfin, à la question du financement qui reste entière. Le principal frein revient à trouver un modèle économiquement viable et durable pour ces solutions. La réussite d’un projet TIC dans la santé doit répondre à trois conditions : une demande exprimée, émanant d’un écosystème stable et pérenne, une solution TIC associée destinée à satisfaire cette demande et un modèle économique qui assure la viabilité dans le temps (investissement initial et maintien économique dans le temps). Dans ce contexte, le défi pour les acteurs des TICs n’est pas tant de montrer qu’ils peuvent aider à réduire les effets de ces pénuries chroniques mais de trouver le financement permettant d’assurer la viabilité du projet.
Les TICs peuvent apporter une aide significative (peut être même, en relatif, supérieure à celle qu’ils apportent dans les pays dits développés). Cependant l’ensemble des défis à relever ne trouvent que partiellement une solution grâce aux TICs. Ces dernières cependant, comme le cas du m-paiement l’a montré par ailleurs, peuvent aider à proposer de nouvelles solutions en étant plus proches des pratiques des populations. Les parcours thérapeutiques mis en place par les Etats ne correspondent pas toujours à la pratique des patients. Les TICs sont peut être aussi un moyen de s’approcher plus de ces besoins.
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