Moustapha Guirassy sur la reunion de l’icann : « L’Afrique doit se battre pour démocratiser l’Internet »
Monsieur le Ministre, à quelques jours de l’ouverture de la 42e réunion de l’Icann, où en est le Comité national d’organisation ?
« Nous sommes fin prêts. Et je profite de l’occasion pour féliciter le Comité national qui a été mis en place pour accompagner cette 42e rencontre de l’Icann. Et je rappelle que nous avions dans ce comité-là, le secteur privé, les universités, mais aussi l’Etat. L’Etat, c’est le ministère de la Santé, le ministère de l’Intérieur, etc. Nous sommes donc fin prêts pour recevoir les quelque 1400 délégués, dont près de 200 Sénégalais, et tout les autres viennent de l’étranger. Les hôtels sont presque tous prêts pour accompagner l’événement qui ne se déroulera pas seulement au Méridien-Président. D’autres hôtels et d’autres sites, particulièrement le Monument de la Renaissance, abriteront d’autres séquences de cette 42e rencontre de l’Icann.
Quel est le thème de cette rencontre de l’Icann à Dakar ?
« C’est la question de la Gouvernance mondiale d’Internet. Nous avons toujours mis en avant un exemple bien précis. Bakel est à la fois le nom d’une ville sénégalaise, en même temps le nom d’un produit cosmétique, et le nom d’un village aux Pays-Bas. La grande question, aujourd’hui, est à qui appartient le nom Bakel ? Nous savons qu’il y a des organismes qui protègent les marques. Les marques sont protégées. Donc à ce niveau, il n’y a pas de difficulté, mais aucun nom de ville ou de village n’est protégé. Or, pour un nom de domaine « Bakel », on l’estime à environ 18.000 dollars Us à payer pour avoir ce nom. Une petite ville ou un petit village africain ne peut pas du tout se payer le luxe de réserver un nom à ce prix. Et cela pose un problème d’identité. Aujourd’hui, la question de l’identité se pose au niveau de la toile. Et si, à ce niveau-là, un pays ou une ville n’a pas la possibilité de sécuriser son éducation, sa culture, son identité, son image, vous voyez la menace que cela peut représenter pour le pays en question.
J’ai donné cet exemple-là pour poser tout simplement la question des enjeux du débat sur la Gouvernance mondiale d’Internet. Malheureusement, les pays africains ont toujours été absents du débat. Icann a toujours enregistré un taux d’absence extrêmement élevé des pays africains, au moment de la tenue des réunions de son Conseil d’administration.
Donc, sur les enjeux d’identité, de souveraineté, de sécurité, nous avons malheureusement toujours été absents. Vous voyez les conséquences néfastes, la démocratie aujourd’hui, le développement économique et social ont été toujours portés par Internet. Ça c’est un premier aspect.
L’autre aspect, je reviens à un secteur extrêmement important pour le développement de l’Afrique, de notre pays, c’est l’Education. Pendant trois ans, Icann débattait sur l’aspect des sites pornographiques. Pour les noms de domaines « xxx », certains disaient qu’il y avait la possibilité d’identifier ces sites-là. Que les parents puissent se dire que là c’est un site « xxx » et avoir les moyens de protéger ou sécuriser leurs enfants.
Mais, derrière ce business-là, d’autres veulent que les noms de ces sites soient anonymes. Malheureusement, lorsque ces questions sont débattues dans ces instances, nous sommes encore absents. Et nous sommes victimes, nos enfants sont victimes d’une réalité, d’un exercice qui nous est imposé. Donc, en résumé, deux ou trois enjeux. Nous allons discuter des enjeux de sécurité, d’identité, de positionnement.
Pour une première fois, nous avons demandé que l’Union africaine puisse organiser une table ronde ministérielle pour avoir un agenda, une position africaine. Et pour la première fois, les Africains viendront à un conseil d’administration d’Icann avec une position claire pour dire ce que nous pensons. Du coup, ce que nous pensons cette Gouvernance d’Internet : est-elle démocratique ? Ce que nous pensons de la sécurité d’internet, des questions de positionnement de nos Etats, etc. Voilà donc quelques uns des axes qui seront débattus et qui constituent des enjeux extrêmement importants.
Combien de ministres de pays africains en charge des Tic ont confirmé leur participation à cette table ronde de Dakar et à la 42e réunion de l’Icann ?
« Aujourd’hui, nous pouvons dire que les pays membres de l’Union africaine ont presque tous confirmé leur participation. C’est vrai qu’il y aura des contraintes de calendrier pour certains, mais ils seront sans doute représentés. Nous pensons que les membres du bureau au niveau de l’Union africaine seront présents. Je dois signaler la présence à Dakar du Commissaire de l’Union africaine en charge des Infrastructures et des Tic. Il y a les ministres de la Guinée, de la Zambie, du Cap-Vert qui sont là.
Environ une dizaine de ministres seront là, et d’autres seront représentés par des directeurs de cabinet, conseillers ou ambassadeurs. Mais, tous les pays africains sont intéressés par cette question de l’Icann. Il faut signaler que cette réunion de l’Icann intervient au moment où une importante rencontre annuelle de l’Union internationale des Télécommunications (Uit) est organisée à Genève.
En 2011, on estime à 2 milliards le nombre d’internautes à travers le monde et l’Afrique reste le continent le moins connecté, le moins présent dans la Gouvernance de l’Internet. Que faut-il préconiser pour remédier à cela ?
« Aujourd’hui, il faut une position africaine. Il faut que les Africains se battent pour une démocratisation d’Internet. Il faut aussi beaucoup investir pour des infrastructures informationnelles. En ce qui nous concerne, c’est tout le sens du nouveau Code des Télécommunications du Sénégal. Nous l’avons révisé et, dans ce nouveau Code des Télécommunications justement, on ne parle plus de licence pour les opérateurs d’infrastructures, mais on parle simplement de principe d’autorisation. Parce que nous voulons permettre aux opérateurs d’amener la fibre optique en mer, de construire un peu partout des autoroutes de l’information au Sénégal.
Donc, aujourd’hui, il suffit simplement d’une autorisation pour que l’Etat du Sénégal puisse donner la possibilité à l’opérateur de mettre en œuvre son programme d’investissement dans le domaine des infrastructures. C’est là l’enjeu. Il faut beaucoup investir dans les infrastructures informationnelles.
Et également participer à ce genre d’instances pour avoir des positions communes africaines. Et là, nous sommes très heureux que l’Union africaine accepte d’accompagner le Sénégal. Notre pays n’a pas voulu y aller tout seul. Nous avons voulu mettre tout ça sous la coupole de l’Union africaine. Voilà donc l’appel que le gouvernement du Sénégal lance, c’est de demander à la société civile africaine, aux politiques, aux privés de s’investir sur le débat des grandes questions de la Gouvernance d’Internet. Le monde de demain repose essentiellement sur l’Internet, et c’est son instance de gouvernance qui se réunit à partir de dimanche à Dakar.
Le Sénégal, en organisant cette 42e réunion de l’Icann, veut-il figurer parmi le peloton de tête des pays africains qui s’illustrent dans le développement des Tic ?
« Non, c’est une volonté. Nous avons tenu à organiser cette 42e réunion de l’Icann ici. D’abord, dans le domaine des Tic, le président de République, Me Abdoulaye Wade, l’a assez démontré, il est coordonnateur du Volet Tic au sein du Nepad. Il a montré à quoi le levier Tic pouvait servir dans le domaine de certains secteurs traditionnels comme l’agriculture, l’élevage, par exemple.
Aujourd’hui, l’éducation et la santé, pour le chef de l’Etat, doivent essentiellement reposer sur le socle des Tic. D’ailleurs, récemment, il a reçu un Prix aux Nations Unies par rapport à la pertinence de sa politique de Santé qui repose essentiellement sur les Tic.
Donc, nous avons à coup sûr un positionnement très clair. Mais, dans la question des Tic, vous voyez en fait que nous posons une autre problématique.
Nous sommes dans l’espace de la Gouvernance, l’espace de la stratégie. Ce qui se pose derrière. Lorsqu’on fait un transfert de technologie, on ne transfère pas que du « hard ». On ne transfère pas que le « soft ». Il y a aussi ce qu’on appelle le « org ware », toute la dimension organisationnelle, ou toute la dimension technologique qui est derrière ce que l’on transfère. Et Internet, il faut comprendre aussi, ce n’est pas une technologie qui est sénégalaise ou française.
C’est une technologie qui était purement américaine.
Aujourd’hui, les Etats se sont battus pour démocratiser, ouvrir le Conseil d’administration de la gouvernance de l’Internet à d’autres pays, mais je crois qu’il faut aller beaucoup plus loin. Et c’est la position de l’Uit d’ailleurs, qui pense que l’Icann doit démocratiser l’accès à Internet.
Donc, les questions de la gouvernance mondiale d’internet, qui dépasse le seul cadre des ordinateurs, la connectivité, sont des enjeux qui doivent être débattus. Et donc, je crois que nous avons le devoir et l’obligation, pour la postérité, de participer à ce genre de réflexions.
Le Gouvernement sénégalais en fait-il assez pour le développement des Tic dans notre pays ?
« Je pense que le président de la République a déjà indiqué la voie. C’est déjà important, l’engagement de l’autorité, du chef de l’Etat, du chef du Gouvernement, dans un sens, dans une direction.
Je pense que lorsque le chef de l’Etat parle de la politique des infrastructures, des autoroutes, il parle aussi des autoroutes de l’information.
Aujourd’hui, l’enjeu, la grande question, lorsqu’on parle d’Internet, avec la disponibilité de l’image, du son, de la vidéo, on raisonne en termes de réseaux Tic. Donc la question, c’est l’enjeu de l’accès, du haut débit. Or, le Sénégal est extrêmement bien placé, toute la sous-région est desservie à partir de notre pays. Nous avons un opérateur traditionnel historique de l’Etat du Sénégal qui est là, la Sonatel, que l’Etat a toujours su accompagner. C’est un opérateur qui a toujours su développer les infrastructures appropriées et positionner aussi le Sénégal dans le peloton de tête. Aujourd’hui, nous sommes fiers de ce que nous avons en termes d’infrastructures. Encore une fois, l’Etat a beaucoup fait et, en Afrique subsaharienne, nous pouvons dire que nous faisons partie du peloton de tête en matière de Tic.
Maintenant, l’Etat ne peut pas tout faire. Il faudra un changement de comportement. Il faudra aussi démystifier les Tic. Souvent nous avons une perception un peu biaisée, lorsque nous parlons de technologies. On pense que c’est un discours d’experts, un discours fait pour les riches. La conception de l’Etat du Sénégal est que les Tic sont conçus pour les pauvres. Grâce aux Tic, nous avons des bibliothèques virtuelles, on peut soigner les malades à Fongolimbi, à Ninefesha, on peut accéder à des services sociaux. Aujourd’hui, la voie est toute tracée, mais il nous faut tous comprendre que les mutations sont profondes. Pour cela, nous interpellons les Sénégalais, nous interpellons les Africains, au-delà de l’Etat et du gouvernement.
Entretien réalisé par Omar Diouf
Source : Le Soleil