Les trente-et-un chercheurs, provenant de quatorze pays, sont parvenus à cette conclusion, mardi 31 mai, à l’issue d’une réunion commencée le 24 mai à Lyon. Cette classification marque une évolution notable, alors que le téléphone mobile compte 5 milliards d’abonnés dans le monde. A l’heure où les experts rendaient leur avis, le site de l’OMS indiquait encore qu’il “est clair que si les champs électromagnétiques ont un effet sur le cancer, une augmentation du risque ne sera qu’extrêmement petite”.
Président du groupe de travail du CIRC, le docteur Jonathan Samet a précisé, lors d’une conférence de presse téléphonique, que la conclusion s’est appuyée “sur des études épidémiologiques montrant un risque accru de gliome, un type de cancer du cerveau associé à l’usage du téléphone mobile”. “Les deux études les plus larges ont montré un risque accru de gliome chez les utilisateurs les plus intensifs”, a-t-il ajouté. Les preuves les plus solides proviennent de certaines études nationales menées dans le cadre de l’étude internationale Interphone, ainsi que d’une étude suédoise, a-t-il indiqué.
Les travaux menés chez l’animal ont abouti à “des preuves limitées d’un risque”, a déclaré le docteur Samet. En revanche, a-t-il souligné, “il existe des lacunes et des incertitudes”, ce qui impose la nécessité de poursuivre les recherches. Des scientifiques et des organisations non gouvernementales, dont l’association française Priartém, s’étaient émus de la tenue de cette réunion d’experts alors que certaines des études nationales d’Interphone et certains travaux sur les tumeurs de la tête n’ont pas encore été publiés.
RISQUE COMPARABLE À CELUI EXISTANT POUR LES PESTICIDES
Responsable au CIRC du programme des monographies consacrées au risque cancérogène d’un agent donné, le docteur Kurt Straif a précisé que “les experts avaient eu accès à toutes les études du programme de recherche Interphone, car les études encore inédites avaient été acceptées pour publication par des revues scientifiques, parfois seulement une semaine avant la réunion”. Selon le docteur Samet, “ce qui compte, c’est la publication des résultats globaux, car il continuera d’y avoir des publications à partir de ces données pendant plusieurs années”.
Les responsables du CIRC et du groupe d’experts ont précisé le cadre de leur travail. Tout d’abord, la réunion des experts n’avait pas pour objectif de quantifier le risque encouru, mais d’évaluer les arguments scientifiques en faveur de son existence ou non. “Le niveau de preuve d’une association entre l’usage de la téléphonie mobile et le risque de cancer est comparable à celui existant pour les pesticides ou les expositions professionnelles dans le cadre du nettoyage à sec”, a avancé le docteur Straif.
Autre limite : les données scientifiques, en particulier dans le cas d’Interphone, datent au mieux de 2004. Elles correspondent donc à des technologies qui ont évolué depuis – avec la réduction du débit d’absorption spécifique (DAS) des téléphones mobiles, qui quantifie le niveau de radiofréquences émises vers l’usager – et à des usages qui se sont modifiés : temps passé avec le téléphone à l’oreille, augmentation spectaculaire du nombre d’usagers et utilisation par des adolescents et des enfants… Sans oublier le déploiement du WiFi.
Le docteur Samet a reconnu la nécessité pour les chercheurs de “mieux documenter les utilisations actuelles”, tout en soulignant que “les technologies changeaient constamment”.
“PLUS PERSONNE NE POURRA DIRE QU’IL N’Y A AUCUN RISQUE”
En charge de la monographie sur les champs électromagnétiques de radiofréquence, le docteur Robert Baan a affirmé, pour sa part, que “les expositions dues aux antennes relais sont d’un ordre de grandeur cinq fois inférieur à celles des téléphones mobiles”.
Le document du CIRC ne se prononce pas sur les mesures que les autorités ou les individus devraient prendre. “Les monographies du CIRC visent à évaluer les preuves scientifiques, et non à formuler des recommandations fermes sur la régulation. Les pays ont parfois des philosophies différentes”, a indiqué le docteur Straif avant de citer le cas de la France, qui “a émis des recommandations pour réduire l’utilisation des téléphones mobiles avant la réunion du groupe d’experts”.
Interrogé sur le problème du conflit d’intérêts – qui a provoqué le retrait d’un des experts initialement pressentis -, le docteur Straif a assuré que la question “était prise très au sérieux par le CIRC et que la décision n’avait subi aucune influence de la part des opérateurs”.
Dans un communiqué publié mardi, la Fédération française des télécoms “prend acte” de la classification “2B” adoptée par le CIRC et relève que “cette catégorie concerne 266 autres agents, dont le café, les cornichons et autres légumes au vinaigre”.
De son côté, la présidente de Priartém, Janine Le Calvez, estime que la prise de position du CIRC était “inespérée, non pas au vu de l’état des connaissances, mais par rapport aux pressions exercées par les opérateurs”, et la juge “très courageuse”. Il s’agit, à ses yeux, d’une “étape extrêmement importante, qui met chacun devant ses responsabilités : plus personne ne pourra dire qu’il n’y a aucun risque”.
Bien que le CIRC n’ait pas pour usage de rendre public le détail des votes, le président du groupe d’experts a indiqué qu’une “encourageante majorité s’était accordée sur l’évaluation finale”.
Paul Benkimoun
[readon1 url=”http://www.lemonde.fr”]Source :lemonde.fr[/readon1]