Dans un communiqué payant publié hier, mercredi 7 juillet par plusieurs journaux, la Société nationale des télécommunications du Sénégal (Sonatel) se démarque et dégage toute responsabilité dans le choix de l’Agence de régulation des télécommunications et des postes (Artp) de s’offrir les services de la Société privée « Global Voice » pour contrôler désormais le volume du trafic international des télécommunications dans notre pays.
Derrière ce laconique communiqué visant certainement un public d’initiés, semble se profiler d’âpres batailles pour la survie de la boîte dont l’existence même risque d’être menacée par la nouvelle décision « d’autorité » de l’Artp. L’agence a en effet, fait prendre le décret N°2010-632 du 28 mai 2010 instituant un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant au Sénégal.
Décret dont il a « exigé » de sources généralement bien informées, l’effectivité de son application par les opérateurs de télécommunication intervenant au Sénégal depuis deux semaines maintenant. La nouveauté à ce propos est la fixation d’un nouveau tarif pour la terminaison des appels vers le Sénégal et venant de l’international avec la mise en place d’un système de contrôle pour être sûr que les opérateurs déclareront le trafic réel qu’ils reçoivent de l’international.
La société Global Voice est son « bras armé ». Entre autres dispositions, ce décret fixe un seuil minimum des tarifs de terminaison des communications téléphoniques entrant au Sénégal.
Il induit ainsi le relèvement du tarif de terminaison à 140,03 Fcfa. Ce qui constitue une nouvelle taxe car une partie de ce tarif est collecté par le régulateur. Sur ces 140,03 Fcfa, 75,44 Fcfa seront collectés pour chaque minute de communications vers les téléphones fixes et 48,2Fcfa pour chaque minute de communication vers les mobiles. Les opérateurs qui voient ainsi certaines clauses de leurs contrats signés en bonne et due forme avec l’Etat, notamment celles afférentes à la concession sur l’exploitation des appels internationaux, violées par l’autorité publique, sont transformées en de simples « collecteurs » pour tiers de taxes comme pour la Tva.
Pis, ils devront en plus verser une Tva de 20% sur leur « ristourne » de 60 Fcfa/ la minute sur le fixe et 90 Fcfa/la minute sur le mobile ! Il serait étonnant que les opérateurs ne rechignent pas et ne cherchent à répercuter tout cela sur le pauvre consommateur sénégalais déjà suffisamment présuré. « Toutes les dispositions sont prises afin que les utilisateurs locaux ou se trouvant à l’étranger, en particulier les Sénégalais de la diaspora, n’aient à supporter une quelconque augmentation de prix de leurs communications avec le Sénégal du fait de ces nouvelles mesures », révèle le document de l’Artp. On peut cependant se demander comment une augmentation des tarifs de terminaison peut ne pas influer sur les tarifs de détails des clients des autres pays appelants vers le Sénégal ? L’impact sera immédiat si les opérateurs distants décident de répercuter cette hausse sur leurs tarifs de détails. Et pour quelles raisons, ces derniers n’appliqueraient pas la réciprocité ?
Il s’y ajoute, notent plusieurs observateurs que si « aux termes du décret, l’Artp est chargée de l’exécution technique du nouveau système. Et qu’à cet effet, elle s’est attaché, dans le respect des procédures du Code des marchés publics, les services de l’opérateur international Global Voice Group comme partenaire technique pour la mise en œuvre du système », l’opinion semble dans l’ignorance du mode de passation dudit marché. Gré à gré, appel d’offres restreint, ouvert ? Nul ne sait. Le communiqué de l’agence n’étant point explicite à ce propos. La transparence exige cependant que l’opinion connaisse. On peut également s’étonner sur le fait que les « taxes » ainsi collectées et qui devront se chiffrer en milliards de Fcfa ne sont point versées au Trésor public comme il est normal dans tout pays normé, mais dans les caisses de l’Artp. Gageons que cela ne servira cependant point à payer des…primes ! On serait néanmoins plus rassuré si cet argent était versé au trésor public au lieu des caisses de l’Artp. Au juste, la structure est-elle devenue une banque ou une caisse de consignation ?
Violation de la confidentialité des appels
Le système n’offre aucune possibilité ni d’écoute des communications téléphoniques, ni de lecture des SMS. Il permettra exclusivement de relever les signaux d’appels nécessaires pour la détermination du volume du trafic total, lit-on dans le communiqué de l’Artp. Qui ajoute que ce système a été mise en place avec succès dans plusieurs pays comme le Ghana, le Congo, la Guinée et qu’il permettra à l’Etat d’avoir une visibilité en temps réel sur l’exhaustivité des communications téléphoniques internationales entrant au Sénégal, aussi bien celles qui passent par les routes légales que celles qui empruntent les routes frauduleuses. Le hic est que désormais, toutes les semaines, tous les opérateurs de téléphonie au Sénégal sur des « Cd » que l’Artp a « gracieusement » mis à leur disposition fourniront jusqu’au détail, toutes les informations sur les appels internationaux entrant comme sortant du Sénégal. Le pauvre abonné sénégalais qui a signé un contrat avec l’opérateur de son choix : Sonatel, Sudatel, Tigo, lui garantissant de droit, la confidentialité de ses communications est ainsi bafoué sans que cela ne relève d’une quelconque réquisition judiciaire pour des questions de sécurité intérieure ou de crime qui en nécessitent, mais par une simple décision administrative matérialisée par un décret. Il est mis à nu et ne sait pas l’utilisation qui sera faite de ses informations privées. Les « Droit de l’hommistes » ainsi que les associations de consommateurs ont là assurément matière à revendiquer.
« Tuer la poule aux œufs d’or »
Le document de l’Artp nous apprend par ailleurs que ce nouveau dispositif permettra également au Sénégal de générer des revenus supplémentaires pour le secteur des télécommunications et pour l’Etat à travers :la revalorisation et la stabilisation des tarifs de terminaison d’appels entrant au Sénégal ; la lutte contre la fraude sur les appels internationaux et l’éradication de ce phénomène qui constitue un grand fléau pour le secteur. Pour plusieurs observateurs et hommes de l’Art cependant si ce système génère certes des revenus supplémentaires pour l’Etat qui raquette quasiment les opérateurs ainsi, il n’engendrera en aucun moment un revenu supplémentaire pour le secteur. Ils prévoient plutôt une baisse du volume du trafic international entrant ce qui devra entraîner de manière inéluctable une baisse de revenu pour les opérateurs sur le trafic international entrant. Cette baisse de revenu des opérateurs se fera ressentir sur les impôts annuels versés par les opérateurs. Quand on sait, font remarquer les mêmes, que l’Etat du Sénégal tire plus de 12% de ses recettes budgétaires de la seule société Sonatel, véritable poule aux œufs d’or pour l’économie nationale au point que l’Apix en fait un moyen marketing conséquent pour la destination sénégalaise, cette taxation d’autorité qui perturbe de facto le secteur risque de la plomber.
Comme elle plombera tous ses compagnons d’infortunes que sont Tigo et le nouveau chouchou de l’Etat, Sudatel. Tous risquent de faire les frais de la boulimie de l’Artp et de fermer boutique ou de vivoter faisant perdre au Sénégal, le seul domaine où il voyait sa balance commerciale excédentaire jusque-là. Car si « avec l’adoption de ce décret, le Sénégal vise à rééquilibrer à son profit les revenus générés par le trafic international, à lutter contre la fraude sur les appels internationaux et à renforcer la position des acteurs de son secteur des télécommunications, pilier important du développement socio-économique du Sénégal », il ne revient pas à l’Etat de tirer un quelconque profit des appels internationaux. Chose qui revient de droit aux opérateurs qui ont signé contrat avec lui. C’est sur les impôts et taxes payés par ceux-là que l’Etat devrait gagner plutôt.
Madior Fall
[readon1 url=”http://www.sudonline.sn”]Source :Sud Quotidien[/readon1]