france_telecom_stephane_richard
france_telecom_stephane_richardAlors que se tient aujourd’hui l’assemblée générale du groupe, le nouveau patron de France Télécom est parvenu à rétablir le dialogue et la confiance dans une entreprise démoralisée. L’homme a su se faire apprécier. Il lui reste à affirmer sa ligne stratégique.

Les défenses de la forteresse sont tombées. Depuis que Stéphane Richard a pris les commandes de France Télécom, le 1 er mars 2010, l’enceinte du siège social, place d’Alleray, dans le 15 e arrondissement de Paris, est ouverte à tous les vents pendant la journée. La cour a été fleurie, avec des bancs pour s’asseoir. « J’ai fait enlever les grilles à l’entrée », explique le jeune patron, qui va fêter ses cinquante ans cet été. « Je ne voulais pas être un souverain dans son donjon . »

Mine bronzée, souriant et naturel, Stéphane Richard n’a en effet rien d’un assiégé. Il est là pour pacifier une entreprise démoralisée par plus de 22.000 suppressions de postes en six ans, et mettre fin à ce que son prédécesseur, Didier Lombard, avait qualifié d’« épidémie » de suicides. C’est une véritable cure de dialogue et d’empathie qu’il a entreprise auprès des 100.000 salariés et fonctionnaires basés en France.

Il ne se passe pas un mois sans qu’il aille serrer des mains sur site, en province -une révolution pour la vieille maison. Un comité d’accueil un peu énervé l’attend devant les locaux ? Au lieu d’entrer par une porte dérobée, il ouvre la discussion. Accessible, il écoute les doléances des uns, les leçons des autres. Parfois, il décroche son téléphone pour protester contre un tract syndical qui lui reste en travers de la gorge. Mais jamais il ne se met en colère. « Sauf si on touche à sa vie privée ou familiale », explique un de ses collaborateurs historiques.

La fin du déni

Certes, des désespérés continuent à se donner la mort. « Mais la Terre n’arrête plus de tourner », se félicite l’un de ses amis banquiers. L’affaire ne remonte plus au gouvernement et les équipes ne se mettent plus en grève. Le dialogue et la confiance semblent avoir été rétablis. « Dans une entreprise de 169.000 salariés, on rencontre forcément des drames personnels ; personne ne peut garantir la fin des suicides, admet Stéphane Richard, mais aujourd’hui, on n’est plus dans le déni et les syndicats m’en font, je crois, le crédit. »

C’est un peu cela, la « patte » Richard. Avant même d’avoir fait quoi que ce soit, par sa seule présence et son écoute, le patron de France Télécom est dédouané, accepté, plébiscité. Il est ce bon vivant qui confesse aimer l’opéra, les maisons de campagne et qui « adore manger »… On ne peut pourtant pas dire que les syndicats maison l’aient accueilli à bras ouverts. En septembre 2009, tout droit parachuté de Bercy, ce proche de Nicolas Sarkozy, novice ou presque en technologies, était aux yeux de tous l’émissaire de l’Elysée.

C’était aussi pour beaucoup un suppôt du grand capital, connu pour s’être enrichi à l’ombre de Jean-Marie Messier. Grâce à ce dernier, il a fait fortune en rachetant les actifs immobiliers de la Générale des Eaux, avec l’aide de fonds d’investissement. Son associé Alain Dinin est demeuré PDG de Nexity. Stéphane Richard, lui, a revendu ses parts. Il en aurait retiré une trentaine de millions d’euros… Plus un redressement fiscal.

« Câlinothérapeute »

Malgré ce passif, les plus blasés des militants sont sous le charme de ce patron pas comme les autres. « Avant que ne commence la journée investisseurs, dans laquelle il devait intervenir, il a passé trois heures avec les syndicats pour leur présenter sa stratégie. Le lendemain, il est allé voir le régulateur des télécoms et rebelote », salue l’un des plus mordants d’entre eux. « Je pense qu’il aurait fait un excellent psychanalyste », commente Alain Dinin. « Il lui suffit de discuter une heure pour retourner une situation. Stéphane, qui est un bon pianiste, sait trouver la musique qui parle aux gens. Il ne va pas leur jouer des notes aiguës s’ils sont dans le grave. C’est une forme d’intelligence innée qu’il se plaît à cultiver. »

Dinin lui-même aurait dû se brouiller définitivement avec son associé si brillant, si jeune, si parisien. Ils étaient deux pour un seul fauteuil. Mais Stéphane Richard a accepté de lui laisser Nexity au bout de quelques années. « Il y a eu une bagarre entre nous, mais aujourd’hui nous dînons régulièrement ensemble », confie l’ancien associé. Avec Didier Lombard, Stéphane Richard a fait preuve du même doigté, tout en gardant le fauteuil. Délicate passation de pouvoirs. L’entreprise était à feu et à sang, son prédécesseur restait retranché dans sa tour d’ivoire. Le ministre avait demandé sa tête, mais le conseil d’administration était comme tétanisé.

En octobre, Stéphane Richard s’est d’abord proposé pour remplacer le patron France – Pierre-Louis Wenès, devenu la bête noire des syndicats -pour lui laisser une porte de sortie honorable. Puis, en février, il a suggéré de dissocier les fonctions de directeur général et de président, ce qui lui a permis de prendre le manche pour accélérer les réformes. Il n’y a pas eu de dossier à charge déballé sur la place publique, à peine « 48 heures de tensions » avec l’ancien patron, explique Stéphane Richard : « Nous n’avons jamais eu de véritable rivalité. » Didier Lombard, qui aimait tant diriger et imprimer sa vision, n’est pas hargneux. Après tout, ce successeur, c’est lui qui l’a adoubé. Stéphane Richard est venu lui présenter sa candidature spontanément. L’ex-directeur de l’Industrie avait gardé un bon souvenir du jeune conseiller du cabinet DSK, toujours prêt à apprendre à son contact.

« Je ne pense pas être de ceux qui laissent des cadavres sur leur route », avance Stéphane Richard. On pourrait donc frayer avec les plus grands requins de la finance frôler le coeur du pouvoir, à Bercy, à Veolia ou à France Télécom, sans se créer d’inimitiés féroces ? Oui, car une autre forme de management est possible, professe-t-il : « Dans les sociétés complexes d’aujourd’hui, je pense qu’associer l’autorité avec la brutalité est un contresens. » Cela ne l’a pas empêché de renouveler en profondeur le comité exécutif : neuf membres sur 14 sont partis, et il a été ramené à 12. Le DRH si décrié, Olivier Barberot, a été gentiment recasé.

Même les concurrents saluent l’arrivée de Stéphane Richard, ce pianoteur compulsif qui envoie des SMS à « Xavier » (Niel, Free), à « Jean-Bernard » (Lévy, Vivendi) et à « Martin » (Bouygues) pour les féliciter de leurs bons résultats trimestriels. Pas un hasard, si France Télécom est parvenu à éteindre de multiples contentieux avec ces rivaux… Cette capacité de conciliation est une force, estime l’un d’eux : « L’opérateur historique est devenu notre concurrent le plus dangereux depuis qu’il est là, parce qu’il fait valoir son point de vue auprès des pouvoirs publics. L’Autorité des télécommunications l’a plus vu en trois mois que dans toute son histoire. » En temps de paix, il est plus facile de faire du business. France Télécom va finalement héberger temporairement Free sur son réseau Internet mobile, pour quelques centaines de millions d’euros -une opération qui fait des jaloux.

Quelques interrogations subsistent néanmoins sur le personnage. Peut-on diriger France Télécom sans être technophile ? « La moitié de mon comité exécutif est composée de X-télécoms », rétorque Stéphane Richard. Au-delà de la « câlinothérapie », a-t-il une vision pour surmonter la période de bouleversements qui s’est ouverte dans les télécoms ? Elle émergera, parie un dirigeant qui le connaît bien : « Cet homme est un peintre impressionniste. Il a l’idée du tableau, mais il ne sait pas dès le départ quelle partie de la palette il va utiliser. Il procède par petites touches, ne décourage personne. On ne voit le résultat qu’à la fin. »

Il a ainsi maintenu le suspense pendant de longs mois sur la stratégie dans les contenus. France Télécom s’était aventuré dans la production de films, de chaînes de télévision, bref loin des tuyaux, ce qui avait effrayé le marché. « Il a eu un discours critique, en discontinuité avec le passé, sans changer fondamentalement la stratégie. Il a trouvé un repreneur pour les chaînes, qui coûtaient trop cher, cessé de payer les droits du foot, mais il a gardé le studio de cinéma 37 et pris des participations dans les sites Web Deezer et Dailymotion », poursuit le même dirigeant.

Des visées mondiales

Stéphane Richard ne veut pas demeurer comme le pompier qui éteint l’incendie et qui repart aussitôt. Certes, il aime « se mettre en danger, dénouer des situations compliquées », rappelle Alain Dinin qui l’a vu successivement quitter Nexity et la promesse d’être encore plus riche, puis la direction de Veolia Transport pour entrer dans l’ombre d’un ministre. Mais chez France Télécom, Stéphane Richard assure qu’il a pléthore de défis à relever : « Ici, je ne me suis pas fixé de durée. Pour moi c’est un aboutissement . J’aime parler avec les gens du marketing, apporter ma vision de ce que veut le client… »

Ce protestant épris de service public est arrivé là où il avait prévu d’atterrir au début de sa carrière, rappelle Alain Dinin. Avec Orange, il peut aussi acquérir une stature internationale. La transformation du groupe à l’échelle mondiale, « il y pense matin, midi et soir », confie un ami banquier. N’a-t-il pas réussi à créer une union sacrée des cinq plus grands opérateurs européens face à la menace de Google ou d’Apple ? Avec son homologue de Deutsche Telekom, René Obermann, ils ont décidé de mettre en commun leurs achats de téléphones et de réseaux. Peut-être n’est-ce qu’un prélude, suggère entre les lignes Stéphane Richard : « Il y a 160 opérateurs en Europe, contre 3 aux Etats-Unis. Cette fragmentation n’est pas satisfaisante. Une de mes missions consiste à préparer la mutation du paysage industriel sur notre continent. » Richard le pacifique aura peut-être alors à livrer quelques batailles…

Solveig GODELUCK

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