Plusieurs commissions, notamment celles législatives, des services et des finances, qui se sont attelées au projet et l’ont étudié pendant plusieurs mois après des séances d’écoute avec, entre autres, le ministre des TIC -Mongi Marzoug-, le président de l’INT -Kamal Saadaoui-, et des experts en télécommunication.
Mais c’est essentiellement la commission des secteurs de services, présidée par Mahmoud Baroudi, qui s’est targuée de réviser et discuter point par point les différents articles de la version révisée du code des télécoms.
Différents sujets ont été mis sur la table comme la concurrence, la gestion des fréquences radios, les pouvoirs donnés à l’Instance Nationale de Télécommunications (INT), la réflexion sur l’introduction des opérateurs virtuels et la coopération, en termes de fibres optiques, entre opérateurs et autres possesseurs d’infrastructures prêtes à l’exploitation.
Orange boudée ?
Des représentants de Tunisie Telecom, Tunisiana, Hexabyte, Tunet, Topnet et Globalnet on été entendus par l’ANC et ont fait part de leurs préoccupations et autres problèmes qu’ils rencontrent en proposant d’éventuelles solutions. De même qu’un représentant de la télévision nationale et d’autres experts de télécommunications. On s’interroge, toutefois, sur l’absence d’un représentant d’Orange dans la liste des invités. L’ANC boude-t-elle le troisième opérateur privé du pays pour des raisons politiques ? Bref, passons !
A noter que le député Dhamir Manai, a été également entendu par les commissions vu son historique dans le secteur des TIC (puisqu’il était l’ex-directeur technique de Tunisie Telecom). Rappelons que M. Manai a aussi mené une carrière internationale comme expert en télécommunications avant de se consacrer entièrement à la vie politique en 2012.
Question concurrence, beaucoup reste à faire
Selon M. Marzoug, la politique initiale de la Tunisie était la ségrégation des services Internet, des services fixes et mobiles. Le ministre a ainsi mis en exergue la présence d’un réel déséquilibre sur le marché en termes du nombre d’abonnés de chaque opérateur : 55% pour Tunisiana, 35% Tunisie Telecom et 10% pour Orange. Il a aussi dénoncé un réel manque de transparence dans le secteur vu les faibles prérogatives données à l’INT par l’ancien code des télécoms. De ce fait, un nouvel article renforcera les décisions du régulateur en leur donnant le caractère irrévocable en cas d’urgence, avec possibilité pour l’opérateur d’en faire appel devant les tribunaux administratifs.
Les opérateurs virtuels, pour dynamiser le fixe et le mobile
On a beaucoup débattu sur l’introduction d’opérateurs virtuels, le marché étant statistiquement saturé pour les opérateurs réels en Tunisie. Les opérateurs virtuels peuvent cibler une clientèle spécifique et dynamiser le marché sans pour autant toucher aux opérateurs réels puisqu’ils louent leur infrastructure à ces opérateurs virtuels (qu’ils soient mobiles ou fixes). Un rapport gagnant-gagnant, donc, qui a un impact positif sur le consommateur. Que du bénef.
C’est pourquoi la mise à jour du code des télécoms introduit la définition d’un opérateur virtuel. Si ce texte est validé, Elissa, le MVNO de Tunisie Telecom, disposera, enfin, d’un cadre légal légitimant son activité. Quant aux FAI «orphelins» GlobalNet et Hexabyte, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas encore adossés à des opérateurs télécom, ils profiteront ainsi d’une issue de secours qui leur permettrait de se développer en opérateurs virtuels et fournisseurs d’accès Internet à la fois.
Sur ce sujet, le président de l’INT a insisté sur l’importance de définir clairement le rôle d’un FAI dans ce nouveau code des télécoms et les modalités d’obtention d’une autorisation (le ministère via une licence ou un cahier des charges).
Et quant à l’Agence Tunisienne d’Internet (ATI), le ministère a souhaité rajouter un article donnant d’office une licence de point d’échange national (IXP) à l’agence. Mais cette nouvelle introduction qui s’est faite vers la fin des discussions risquait de faire revenir tout le texte à l’étape zéro pour être débattu à nouveau dans toutes les commissions.
Le ministère a eu alors le choix de retirer cet article en attendant que le rapporteur général le propose à la plénière comme recommandation, ou que le ministère le décrète par lui-même après l’adoption du code par l’ANC.
Si, globalement, ce texte est très positif pour le secteur des TIC, un détail nous a interpelé dans le PV des réunions des différentes commissions et qui pourrait être une porte dérobée pour le retour de Ammar 404.
Nous avons pu récupérer le PV récapitulant les échanges auxquels se sont livrés les membres des commissions pendant l’étude des nouveaux articles modifiant l’actuel code des télécoms. Une mise à jour plus que nécessaire pour le bien du secteur des TIC en Tunisie. Parmi ses points forts : le dossier de l’excédent de fibre optique installée en Tunisie.
Mais si ce surplus de fibres optiques est suffisant pour créer des backbones régionaux à l’intérieur du pays, il reste cependant insuffisant pour desservir en haut débit les abonnés éloignés. C’est la raison pour laquelle les opérateurs doivent remplir leur part de responsabilité dans le développement régional en installant une infrastructure de communication solide.
D’après notre ministre, ce déploiement de fibre optique obéit déjà à un cahier des charges strict et qu’il existe un taux de pénétration annuel à respecter. Il a été ainsi imposé à Tunisiana et à Orange de privilégier la fibre optique même à l’intérieur du pays pour ses services haut débit. Ceci constitue un pas considérable dans la réduction du déséquilibre entre les gouvernorats du Sahel et le reste du pays.
Et pour les aider économiquement dans cette tâche, le ministère souhaite donner le droit aux institutions publiques et privées ayant un excédent de fibres optiques (comme la STEG, SNCFT ou Tunisie Autoroute) de les louer aux opérateurs.
Censure, le sujet de discorde
Dans les commissions, les différents acteurs du TIC ont insisté sur la séparation entre le rôle de l’ATI dans la gestion de l’Internet national et celui de sa surveillance. Certain élus ont, par contre, insisté sur la légitimité du filtrage du Net, estimant que celui-ci était pratiqué même dans les pays les plus démocratiques pour garantir leur sécurité. Sana Haddad, une députée nahdhaouie à l’ANC, se limitera, cependant, à défendre la censure comme un devoir pour combattre… le porno. Chassez le naturel, il revient au galop !
Réponse du ministère : la censure est de l’issue du tribunal et non d’une administration. Ce n’est pas à l’ATI de jouer ce rôle. L’accès au porno est un choix personnel et c’est aux FAI de le proposer à son client tout en lui donnant le droit d’avoir un accès complet et non censuré à Internet s’il le souhaite. Les fournisseurs d’accès seront d’ailleurs priés prochainement d’assurer ce contrôle pour tous leurs abonnés. La censure du porno reviendra, donc, mais ça tiendra du choix du client qui pourra l’exiger de son FAI.
Jusque là, rien d’anormal. D’autant plus que la réponse du ministre parle explicitement de l’utilisation du contrôle parental avec une liste préétablie de sites blacklistés. On ne sait pas, toutefois, si ce contrôle sera sous forme de logiciel à installer en local ou plutôt… d’un serveur distant par lequel transiteront toutes les requêtes ?
En d’autre termes, les FAI seront-ils obligés de fournir deux types de connexions (la première libre, la deuxième filtrée) ? Ou vont-ils avoir le choix de fournir ce service de leur propre initiative ?
Pire que la censure : l’autocensure
Mais dans ce cas, ne serait-ce pas une porte dérobée pour le retour de Ammar 404 et ce, en inculquant la culture de l’autocensure ? On imagine mal que des pères de familles choisiront une connexion «libre». Le poids de la pudeur et du ‘qu’en dira-t-on’ risquent d’encourager, en effet, les Tunisiens à opter massivement pour ce type de connexion et à réinstaurer, ainsi, la légitimité de la censure sur le Net. Quitte à ce qu’elle soit plus chère et/ou que la navigation soit plus ralentie.
Et si ce filtrage s’applique au niveau distant, le gouvernement va-t-il obliger les FAI à donner le droit à leurs clients de suspendre le filtrage quand ils le demandent ? Si un père de famille veut consulter, la nuit, les sites X tout seul, aura-t-il le droit de se connecter sur une console pour désactiver momentanément ce filtrage ?
Le ministère des TIC n’a pas cessé depuis les derniers mois de multiplier les actions pour enterrer définitivement Ammar 404. Dernière décision en date : la libéralisation des liaisons internationales de l’emprise de l’ATI. Mais à la lecture des PV des réunions qui ont précédé le texte final du code des télécom (et qui sera prochainement mis au débat à l’ANC), quelques courant politiques, Ennahdha notamment, pourraient exploiter cette brèche pour réinstaurer en douceur la censure en Tunisie.
Le ministère doit absolument clarifier sa position sur ce point lors de la séance plénière. Le gouvernement va-t-il encourager les FAI à fournir un logiciel au client pour qu’il puisse contrôler sa connexion ? Ou va-t-il obliger les FAI à fournir toute une connexion filtrée comme à l’époque de Ben Ali ?
Source: http://www.thd.tn